Une paire de talon d'au moins 20 centimètres passait en claudicant devant mon nez. Quel boucan. Tandis que la jeune demoiselle boitait en fixant le bout de ses pieds qui se déposaient sur le sol l'un derrière l'autre, je me demandais si cette hauteur n'était pas illégale pour une paire de chaussure. Je jetais un coup d'oeil à mes vieilles shoes en sortant mon briquet de la poche de mon slim. Une jambe croisée, je repassais les bouts déjà noircis de mes semelles, n'ayant rien d'autre à faire cramer.

Une grosse paire de chaussure orthopédique m'arrachait de mes occupations pyromanes. Je suivais des yeux ces deux horreurs traversert le couloir sans un bruit en soupirant. Tiens, j'apercevais une autre paire de talons vertigineux qui sortait d'une boutique. La grosse dinde se dandinait en essayant de ne pas s'étaler sur le sol froid et semblait encore plus ridicule que la précédente. Il ne lui suffit que de quelques pas pour que son talon, qui semblait si féroce quelques instants auparavant, se brise violemment sous le poids de la jeune femme qui jurait.

J'étais tellement absorbée par ce comique spectacle, que je n'avais pas aperçus la paire de convers qui venaient de trébucher sur mes jambes.

- Pardon, je suis désolé !

Je levais la tête surprise et croisais le regard d'un jeune homme en blouson de cuir. J'ouvrais la bouche pour lui répondre, mais il me prend de vitesse :

- Encore désolé, j'ai pas regardé où...

Son regard se perd son mon étui à guitare.

- Dit, tu me jouerai pas un morceau ?

Je lui rendais son sourire en sortant ma guitare, les yeux brillant. Je l'interroge sur le genre de morceau qu'il voudrait que je lui joue, mais avant même d'attendre sa réponse, je sors le pick The Pretty Reckless que j'avais dans ma poche, lance un petit : Dédicace à ma grand-mère et entame Jolene - Dolly Parton.

- I'm begging of you please don't take my man ..

Cette blondasse entièrement refaite n'étais pas vraiment mon genre, mais j'avais un petit faible pour cette chanson (d'où le nom de ma gratte). Après tout, mes grands parents étaient des anciens fans (Ma grand-mère de sa voix et mon grand-père ... disons pour deux autres choses.) Ce n'est qu'à la fin de mon morceau que je me tourne vers mon petit public constitué d'un spectateur en souriant de plus bel :

- Toi aussi tu joues ?

- Haha, nan, je me sens pas trop capable à ça.. Je préfère observer les gens.

Il tenait un appareil photo dans les mains dont l'objectif pointait dangereusement vers moi. Je me retenais de hurler : " Naan ! Pas photos ! " n'étant pas très photogénique. Je ramassais les quelques billets que j'avais récupérés et les glissait dans la poche de mon blouson avant de ranger Jolene dans son étui. Le couloir s'était rempli en ce bel après midi, la population défilait dans les magasins dépensant leurs sous durement gagnés .. ou pas, pour certains immensément friqués que l'on reconnaissait à leurs nombreux sacs de grandes marques. J'avais connus ça. Après tout, en Suède, ma chambre faisait la taille du dressing de ma mère. Ma mère .. Comme j'ai honte d'être sortie de ses tripes et à mon avis, c'est réciproque, vu qu'elle était pour une fois, tout à fait d'accord avec mon père sur le fait de m'exiler sur un autre continent. J'avais beau essayer de les oubliés, j'avais du mal à ne pas penser à eux. C'est pathétique. Ils obsèdent mes pensées.

- Euuh, enfin, observer ce qui m'entoure.. On va dire ça comme ça...
Et toi, pourquoi reste tu ici, on dirait qu'avant que je te cause, que tu te faisait un peu chier non ? Après j'ai peut être tord. Et puis, je dit ça, mais moi aussi je m'ennuyait au pensionnat.

J'hésitais à lui avouer qu'effectivement, il avait vu juste .. et que je me faisais vraiment chier avant qu'il interrompe ma contemplation des souliers du centre commercial qui caractérisait les différentes classes sociales des japonais : c'était tellement passionnant que j'aurais pu écrire un bouquin dessus .. Après tout de nos jours, les écrivains ne manquent pas une occasion de publier un livre. Que ce soit sur les pensées d'une jeune africaine perdue dans les rues de Londres, en passant par une attaque d'Ovni sans oublier les milles et une façon de cuir des pâtes. Au bout de quelques secondes, je me rendais compte que le silence qui venait de défiler me faisait passer pour une lunatique devant le jeune homme.

- Pas qu'un peu. Mais bon, il fallait que je sorte ... Respirer un peu l'air pollué de la ville ~

Je me retenais de sortir une c*nnerie du genre : "Il fallait que je sorte de ma chambre avant que des araignées tissent leurs toiles dans mon cerveau. " Le genre de répliques complètement stupides, directement tirée d'un des Spleens de Baudelaire, qu'en temps normal j'aurais dit sans hésitation, me tapant ainsi une honte cosmique. Oh, et puis, que ce que je m'en fous. Après tout, je vis comme je l'entends en adressant un gros F*ck à la face du monde.

Le photographe en herbe s'était assis près de moi et je venais de me rendre compte que je ne lui avais toujours pas demandé son nom. Une taille de mannequin fringuée d'une hideuse jupe Carla Kops, affichait ses longues jambes qui semblaient avoir pris un abonnement hebdomadaires aux salons UV, en passant dans le couloir, me fixant de son regard aux yeux brownies tartinés de fard à paupières rose. Elle me scannait de la tête aux pieds, puis fis une grimace comme si j'étais une petite tâche de boue sur ses souliers collection gratte-ciel. Je lui adressais un clin d’œil, qu'elle ignorait en entrant dans une bijouterie.

- Au faites, c'est quoi ton nom ? Moi c'est Keyla. Je t'offre une glace ?