Il faisait froid dehors, pourtant on était au printemps. Le matin même, il était arrivé au pensionnat à l’arrière d’une berline noire aux vitres teintées avec chauffeur. Il avait pourtant dit à sa mère qu’il voulait y aller seul. Et non, elle et le reste de sa famille lui avait collé la voiture, le chauffeur et tout le tralala ! Et quand il avait demandé qu’on lui rappelle l’objectif de l’envoyer dans un pensionnat, sa tante avait haussé les épaules et répondu sèchement qu’il n’y avait pas de mal à avoir la classe et le montrer. Surtout le montrer ... Silma avait soufflé une énième fois. Le chauffeur s’était alors arrêté un peu à l’écart du pensionnat, et déposé le jeune homme. Celui-ci l’avait remercié avant qu’il ne reparte. Au moins lui comprenais un minimum ...

Bref, il était donc arrivé ce matin au pensionnat. Après être passé à l’accueil, il avait trouvé sa chambre et déposé ses affaires. Puis il avait été faire un tour, histoire de repérer les lieux. Etonnamment, il n’avait pas croisé grand monde de la matinée. Soudain, la sonnerie résonna. Il se rapprocha donc des bâtiments, sans trop savoir que faire. Une voix se fit entendre derrière lui, il pivota rapidement ... pour se retrouver face à une surveillante :

- Faut aller manger, sinon les autres ne te laisseront rien, tu sais.

Silma regarda furtivement sa montre, déjà midi et demi passé. Il releva la tête pour chercher la cantine, la femme lui indiqua une direction qu’il suivit.

Elle était située dans un bâtiment assez ancien, un peu à l’écart des autres. Mais il semblait y avoir des salles de classes au dessus ou des bureaux. Une double porte battante permettait d’y accéder. Une fois qu’il eu franchi ladite porte, il fut assaillit tout d’abord par le bruit, puis par une brusque vague de chaleur et enfin par l’odeur de nourriture. Il se figea un instant, comment pouvait-on manger dans un endroit pareil ? Son ouïe ainsi que son odorat développé en prenait un coup. Et la chaleur ... lui qui était habitué aux températures modérées de la forêt. C’était tout autre chose.

Il prit sur lui et s’avança vers l’endroit où l’on prenait son plateau, ses couverts et son verre. Au moment où il prit son verre, quelqu’un le bouscula et il le lâcha. Le petit verre tomba sur son plateau, roula et passa par-dessus le bord. Il ne rebondit qu’une seule fois sur le sol, Silma le récupéra en vol grâce à ses réflexes d’elfe. Heureusement ce verre faisait partie de ces verres qui explosent en mille morceaux au dernier rebond. Le jeune homme se releva et chercha des yeux celui qui aurait pu le bousculer. Il ne trouva pas, plusieurs élèves pouvaient l’avoir bousculé sans faire exprès. Pas la peine de s’énerver pour si peu ...

Il se concentra plutôt sur ce qu’il comptait manger dans ce qu’il restait sur les étagères réfrigérées. Il choisit rapidement, tout en faisant une grimace dissimulée devant le plat principal. Arrivé au bout de la ... chaine ? Il se retrouva devant une porte battante coupe feu fermée. S’il voulait s’asseoir c’est par ici qu’il devait se diriger. Il ouvrit la porte en la poussant avec son dos. Et là, il fut dans le réfectoire ...

Si tout à l’heure le bruit l’avait dérangé, là il était totalement assourdissant. Tellement assourdissant que le jeune homme resta figé juste derrière les portes battantes. Il captait toutes les conversations en même temps sans les comprendre, ni même chercher à les comprendre d’ailleurs. Chacun parlant plus fort que son voisin pour se faire entendre, chacun s’exclamant qu’il n’avait pas entendu ou bien compris ou même renchérir ou répondre ...

Il se retrouva brusquement poussé en avant, une personne ayant ouvert le battant de toutes ses forces. Silma retrouva son équilibre rapidement, ainsi que son plateau. Non mais depuis quand on ouvrait une porte aussi violemment ?! Le jeune homme avait juste eu le temps d’apercevoir une chevelure noire disparaître dans la foule. Sauf qu’il n’y en avait pas qu’une dans tout le réfectoire ...

Bon, maintenant il fallait trouver une place ... Il souffla de résignation. Il dut faire le tour du réfectoire au moins deux fois pour arriver à trouver une place. Il s’y assit. C’était une petite table un peu à l'écart pour quatre personnes. Deux d’entre elles avaient fini et s’en allèrent. Il se retrouva seul face à un garçon aux cheveux noirs qui semblait avoir le même âge que lui. Il avait le regard fuyant. Silma tenta d’entamer la discussion.

-Salut, je m’appelle Silma, je suis nouveau, je viens d’arriver. Et toi, comment tu t’appelles ?

A y réfléchir, il avait vraiment faim, il piqua dans ses carottes râpées et commença à manger.

Le jeune homme aux cheveux noirs, le fixa quelques instants. Silma sentit sa méfiance et ne le lâcha pas des yeux. Il ressentait aussi un étrange sentiment, un je-ne-sais-quoi non déterminé ... C’était assez difficile à déterminer.
Enfin, il répondit détournant les yeux :

- Je me nomme Alexei ... Je suis aussi nouveau.

Le jeune homme se nommait donc Alexei. Pas commun comme prénom. Quelle origine ? Russe ? Polonais ? Pour sûr, ce n’était pas asiatique, ni européen. Silma s’était arrêté de manger. Il était aussi nouveau. Bien, il n’était pas le seul petit nouveau alors. Pendant ce temps, Alexei continuait à manger. Silma en finit par en faire de même.

- C’est toujours aussi bruyant ce genre de lieu ?

Son voisin de table avait sortit cette phrase alors que le jeune homme blond s’était quelque peu déconnecté. Abasourdi par cette question, il stoppa sa fourchette sur laquelle étaient empalées quelques pâtes au fromage, ses sourcils s’écarquillèrent légèrement. Il posa sa fourchette dont il n’avait pas touché. Comment pouvait-il lui répondre : bah chez moi c’est silence complet car juste un chuchotement suffit ? C’est pas comme ça chez toi ? Tout en se massant les temps sous lesquelles il sentait venir le mal de tête, il répondit :

- Bah ... Comment dire ... Chez moi, dans ma famille, on ... on est pas très, enfin pas aussi ... causants.

Il leva les yeux au ciel. Il continua, un léger sourire aux lèvres, en levant les mains en signe d’ignorance :

- En fait, j’en sais rien. Les habitudes des ... humains, c’est ... c’est pas trop mon domaine.

La fin de sa phrase fut ponctuée d’un regard, qui sous-entendait clairement : « c’est toi l’humain mon pote ! ». C’est vrai quoi, même s’il avait un truc indéfinissable qui faisait qu’il avait l’air d’un humain pas tout à fait normal, physiquement, il semblait quand même humain.

- Mais sinon, je trouve que niveau sonore, ils pourraient baisser d’un ton, qu’est-ce que t’en penses ? dit-il en se passant deux doigts sur le front pour le masser.

Il reprit son repas où il l’avait laissé. Au bout d’un moment, sa curiosité pris le dessus :

- Mais sinon, t’es là depuis quand ? Et tu viens de quel pays ?

Autour d’eux, les jeunes continuaient à s’amuser. Et voilà qu’ils commençaient à se lancer des verres d’eau ... Les cris stridents repartirent de plus belle. Silma soupira.

Alexei répliqua avec force et fougue, surprenant totalement le jeune demi-elfe qui avait instinctivement mais discrètement rapproché ses doigts effilés de son couteau :

- Humain ? Moi ! M’insulte pas !

Oups ! Mauvais choix. Oubliant un instant les gens autour de lui, il ne le lâcha pas des yeux, près à se défendre s’il le fallait. C’était souvent comme ça que les embrouilles commençaient et cinq secondes plus tard, l’autre lui sautait à la gorge. En plus, il n’avait rien dit ! Bref, pour son premier jour, c’est pas top ...

- Je n’ai pas dit cela, répliqua-t-il, d’un ton plutôt froid et distant.

Il grimaça intérieurement, si dès le premier jour il était l’auteur d’une bagarre, ça n’allait sûrement pas passer dans sa famille. Surtout sa tante, si hautaine ... Si cela se produisait, c’était certain, il ne rentrerais pas de si tôt chez lui. Mais c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas se laisser faire, sans répliquer. Mais aussi rapidement qu’il s’était énervé, il se calma d’un coup. Etonnement, seul un soupir suffit à le calmer. Silma détendit ses muscles, et se remit à respirer.

- Et, niveau sonore, comme dit, ‘pourrais baisser d’un ton ... grommela-t-il.

Soudain, quelques goutes volèrent, semblèrent flotter un instant dans les airs, puis s’écrasèrent sur les deux individus. Ils se firent arroser par la bande de gamins jouant avec l’eau. Silma ferma les yeux, garder son sang froid, c’est tout ce qui importait. Quels imbéciles, on ne joue pas avec l’eau aussi impunément. Bon ok, ça arrivait aussi chez les elfes de jouer avec l’eau. Mais c’était avec l’eau d’une rivière, et dans la rivière d’ailleurs ! Pas avec de l’eau potable !! Il soupira en serrant les dents, puis rouvrit les yeux. Là, il se rendit compte qu’il n’était pas le seul à ne pas apprécier leur jeu. Alexei tenait son poing serré et son regard traduisait sa différence envers ces humains.

Ils gardèrent le silence jusqu’à ce qu’une surveillante vienne les calmer, à renfort de menaces de punitions. Et même après. Le garçon aux cheveux noirs s’attaqua à son dessert, tout en se balançant sur sa chaise. Silma, lui, triturait ses légumes, l’air absent. En effet, il était à mille lieux de là. Si cet hu ... cette personne ? (Vu qu’il ne se considérait décidément pas comme un humain) Donc si cette personne ne se considérait pas comme un humain, qu’est-ce qu’il était ? Peut-être tout simplement un simple humain avec un pouvoir spécifique ? Ou un démon ? Il en frissonna rien qu’à l’idée.

- Euh, j’suis là depuis ce matin. Et je suis d’origine russe. Et toi ?

Le demi-elfe releva les yeux vers son interlocuteur.

- Français, réponda-t-il simplement.

Il prit un bout de son dessert, une part de tarte au citron. Puis repris :

- Russe ? C’est bien ce qu’il me semblait, vu l’accent de ton prénom.

Soudain, la question qu’il attendait, inévitable :

-T’es quoi ?

Cette question avait été posée avec la curiosité et la nonchalance d’un enfant. Elle ne semblait pas avoir été posée vicieusement. Malgré cela, il répondit, à moitié :

- Je suis un elfe.

Il désigna ses oreilles pointues. Il ne pouvait pas vraiment en dire plus, si son interlocuteur était contre les hybrides (comme la plupart des étrangers qu'il avait connu par le passé), il y risquait sa peau. Il continua sur la lancée de son camarade, niveau curiosité :

- Et toi ?

A l’instant où il avait indiqué qu’il était un elfe, les yeux d’Alexei s’étaient mis à briller. Convoitise ou admiration, il n’arrivait pas à le déterminer ...

- Moi ? ‘Suis un loup. Enfin ... mi-humain mi-loup.

C’était une note de dégout ? Avant qu’il n’ait eu le temps d’y réfléchir, son compagnon de table s’arrêta de manger et se mit à le regarder fixement. Ce qui était absolument gênant. Silma sentit son visage rougir de gêne, ce qui (il le savait) l’efféminait d’avantage. Ce regard fixement braqué sur lui, avec ce mélange de ... il ne savait pas trop : convoitise, admiration, envie ? Il remua sur sa chaise et déglutit, mal à l’aise. D’un coup, toutes les questions fusèrent comme les bulles d’une boisson gazeuse qu’on ouvrait :

- Tu as quoi comme pouvoir ? Tu peux comprendre la nature ? Tu sais, j’adore les Elfes, j’aimerais en être un ! Au moins, j’aurais plus rien à voir avec ces idiotes créatures que sont les humains ... Toi aussi tu parles aux animaux ? Tu contrôles les plantes ou un truc comme ça ?

L’elfe resta interdit devant toutes ces questions. Derrière cet enthousiasme se cachait peut-être un intérêt déraisonné. Des fous, il y en avait partout.

Alors qu’il cherchait ce qu’il allait répondre à ce curieux, il vit l’expression de ce dernier redevenir calme et distante. Silma haussa légèrement les sourcils. Etonnant ce type, quelque peu lunatique.

- Eh bien ..., commença-t-il un peu perturbé et cherchant les mots et une façon de parler qui masquerait la partie qu’il souhaitait cacher, allons dans l’ordre de tes questions *Il sourit timidement* Les pouvoirs, ben déjà : vue, vitesse et agilité décuplés, les pouvoirs communs à tous les elfes. *pause* Je dirais plutôt que je la ressens, et que j’arrive à interpréter les ... émotions, appelons ça comme ça, qu’elle peut exprimer. C’est assez bizarre à expliquer. Avec les animaux, c’est à peu près pareil, y a les images en plus. Voire quelques mots aussi parfois qui ressortent. Mais pour les plantes, non, moi je n’ai pas cette faculté-là ...

Il se tut un instant, puis tiqua. Il voulait être un elfe ?

- Donc tu voudrais être un elfe ? *Il souri ironiquement en pensant à sa grand-tante, quelle vieille peau celle-là !* Je ne suis pas sûr que tu apprécierais ni ma famille, ni les Hauts-Elfes ou les nobles, appelle-les comme tu veux. Bref ceux qui dirigent notre communauté. Ils sont très strict sur la pureté de notre ... du sang des elfes, ainsi que des héritages et les facultés acquises dès la naissance.

Il soupira. A cause de cette histoire d’héritage, il risquait sa peau à tout moment là-bas ... Bref, il avait répondu et pensait avoir donné assez peu d’éléments pour que son camarade ne se pose trop de questions. Du moins il l’espérait. Puis, lui aussi se laissa aller à la curiosité :

- Mi-homme / mi-loup ? Un peu comme un neko ou un kitsune ? Et toi, tu as quelles facultés, quels pouvoirs ?

Il se cala sur sa chaise et repris un bout de sa tarte au citron.

Alexei râla gentiment. Il n’aimait pas non plus parler de lui. Mais il s’y plia aussi. Il parlait aux animaux et pouvait se transformer en loup à sa guise. Il pouvait aussi entendre chanter la nature. Silma hocha la tête. Ils avaient quelques points en commun. Il soupira, ça changeait. Il finit son dessert en silence, cherchant de mémoire les rares points communs avec ses cousins. Il y en avait peu. Eux, ils avaient pas mal de pouvoirs, notamment concernant la nature. Lui ... c’était autre chose. Il joua quelques instants avec le dernier bout de croute de tarte avec sa fourchette. Puis se décida à le manger. Il releva la tête dès que son camarade se remit à parler.

Dès qu’il prit conscience de ce qu’Alexei lui demandait, il fronça les sourcils et son regard se voila, ses yeux se posant sur le verre de celui-ci. Il prit machinalement une de ses mèches de cheveux argentés et se mit à la passer entre ses doigts délicats. Osera-t-il ... ? Il se désignait comme un lâche. Etait-il réellement lâche envers les autres, alors pourquoi ne le serait-il pas envers lui ? D’autres questions s’ajoutaient à celles-ci. Il hésitait ...

Alexei le regardait d’un regard compatissant et encourageant. Il soupira de nouveau. Puis décida et se pencha sur la table d'un air conspirateur, croisant les bras. Il baissa la voix :

- En fait, tu me trouveras sans doute parano, mais j’y risque ma vie ... Sans rire. *il inspira* Contrairement aux apparences, si tous les elfes savaient la vérité sur moi, je ... Ma famille perdrait tout son honneur ainsi que tout ce qu’elle possède. Enfin, ma mère surtout ... Et moi j’y perdrais encore plus, même jusqu’au don que la Nature m’a fait de la Vie ...

Il avait fini sa phrase en le regardant dans les yeux. Il espérait qu’il comprendrait sa difficulté à se livrer sur ce point décisif.

Soudain, il écarquilla les yeux de stupeur, cambra le dos, et inspira d’un coup, fixant son voisin de table un court instant. En fait, il venait de se faire littéralement asperger le dos par une personne de la table de derrière. Son tee-shirt pâle, maintenant transparent, lui collait déjà à la peau. Serrant le poing et fronçant les sourcils, il se retourna d’un geste fluide et rapide. En un battement de cils, il fut sur l’auteur des faits qu’il empoigna par le col, le prenant au dépourvu, le pichet vide encore à la main. Il colla son visage à quelques centimètres du criminel, l’intimidant de par sa proximité, sa colère non dissimulée et son androgynie déstabilisante.

- Je crois que tu ne te rends pas bien compte de ce que tu viens de faire, mon pauvre, dit-il d’un murmure glacial tout en serrant les dents et où ressortait nettement le fait qu’il était allé largement trop loin.

Une main qui se voulait calmante se posa sur son avant bras. L’elfe ne prit pas la peine de la regarder, ne lâchant pas des yeux. Il savait de qui il s’agissait. C’était la surveillante qu’il avait croisé ce matin-même. Elle lui demanda de le lâcher, qu’elle s’en occupait maintenant. Il prit un instant avant de se décider, puis :

- Rase les murs, menaça-t-il à son oreille avant de le lâcher sèchement, ce qui fit reculer un peu celui-ci.

C’est seulement lorsqu’il le lâcha et qu’il se dirigea lentement vers sa chaise qu’il prit vraiment conscience qu’il était vraiment trempé. De un, il se mit à trembler de froid. De deux, son tatouage dans son dos était maintenant à portée de vue de tous. Et ça, c’était dérangeant. D’ailleurs, malgré le peu de gens restant, les bavardages avaient déjà commencé.


Il serra les poings et soupira en fermant les yeux. C’est bon, sa réputation était faite ... Il s’assit souplement sur sa chaise. Puis se retourna et enfila sa veste. En effet, l’eau n’était pas très chaude, elle était même carrément froide ! Il n’arrêtait pas de trembler. Sentant tout les regards encore fixés sur lui, il appuya volontairement sa tête sur sa main, le coude sur la table, espérant ainsi se cacher un minimum du regard des autres. Ou du moins, ne plus les voir. En même temps, sa jambe droite s’était mise à trembler, tressauter, bref comme quand vous stressez. Il n’avais même pas vu la tête d’Alexei. A vrai dire, là il s’en fichait un peu. Il priait juste pour ne pas être appelé dans le bureau du directeur, ou de la directrice d’ailleurs il ne savait même pas, et surtout pour qu’aucun être quelque peu démoniaque, qui aurait forcément une dent contre les anges et/ou les elfes, n’ait vu ses ailes tatouées dans son dos. Rien qu’à cette pensée, il n’arrêtait pas de soupirer sans en avoir forcément conscience.

Finalement, il aurait peut-être dû lui en mettre une, ça ne se serait peut-être même pas vu.

Les chuchotements avaient baissés depuis qu’Alexei était intervenu. Silma l’en avait remercié intérieurement. Jamais il n’aurait cru celuii-ci capable de faire cela.

Malgré tout les regards restaient. C’est comme lorsqu’on disait à quelqu’un : « Ne regarde pas derrière toi », cette personne regardait toujours derrière elle quand même. Son ouïe n’entendait pas de discussion dont il était l’objet. En fait, il n’entendait plus grand-chose tellement il focalisait son esprit à chercher si des vibrations malfaisantes émanaient de quelqu’un, à son encontre. Mais, extérieurement, il s’était calmé.

Lorsque son camarade s’excusa, Silma inspira profondément en cherchant plus ou moins à oublier ce qui venait de se passer, ou du moins à ne plus y penser, à tourner la page. Il tiqua sur la pureté qui émanait de lui. C’était ironique en plus ! Il se releva en grimaçant, sentant le tee-shirt collé contre sa peau.

- Tu n’as pas à t’excuser, tu es juste curieux et tu n’as rien à te reprocher. C’est plutôt à moi de m’excuser, malgré mon impulsivité, je n’aurais peut-être pas dû agir comme cela ... *il souligna ses propos en agitant la main d’un geste vague, et continua en lui souriant* ... n’empêche que l’eau est froide, et que ça colle !

Il tira sur son tee-shirt en grimaçant. Alexei proposa d’attendre le rab’. Comme il n’y aurait plus grand monde, il pourrait parler plus librement à celui-ci. Il répondit avec de la malice et de la gourmandise dans les yeux :

- Et comment !

Puis, il ajouta en rigolant :

- Au fait, mauvais trait de caractère chez les elfes : l’impulsivité. Je pense que tu as pu remarquer que chez moi, elle est assez forte.

Il rit. C’était sa façon de passer le pas sur l’incident. Il pensait aussi que son voisin avait sans aucun doute remarqué sa rapidité, mais surtout son tatouage. Sans doute avait-il fait le rapprochement. Quoique pour les autres, il pouvait passer pour un simple tatouage, une excentricité ou une volonté de se démarquer. S’il venait à en reparler, il répondrait ... il ne savait pas encore ce qu’il lui dirait exactement, mais il répondrait à ses questions.

En attendant qu’ils puissent se re-servir, comme Alexei, il laissa lui aussi aller sa curiosité. C’est pas qu’il ne voulait pas reparler de ses origines et de son hybridité, mais plus tard, quand il y aurait moins de monde ...

- Désolé de raborder le sujet, mais pourquoi détestes-tu autant les humains ? Comme tu me l’as dit, tu possède une partie humaine. Pourquoi la rejettes-tu ?

C’est vrai, dans le sang de Silma coulait celui des Elfes ainsi que celui des Anges, il ne rejetait ni l’un, ni l’autre. Bien que le fait de montrer les deux ensembles lui fasse courir un risque non négligeable ...

Alexei lui conta son histoire. Il était un croisement entre une Dark Creature et une humaine. Etonnant que chacun ignorait tout de l’autre dans ce couple, pensa-t-il. Ainsi sa mère l’avait rejeté. Et elle avait été jusqu’à vouloir le tuer. Luis son enfant, le fruit de ses entrailles, la chaire de sa chaire, son propre sang ! Silma avais du mal à l’imaginer ... Cependant, il ressentait sa peine. Il s’en voulait maintenant de l’avoir mis mal à l’aise ...

Il s’arrêta ne sachant plus quoi dire, ni quel sujet aborder. Il repensa au fait qu’Alexei était aussi un hybride. Il lui avait dévoilé son histoire, alors que lui-même n’avais pas voulu partager. En même temps, il y a de quoi ... Il jeta un petit coup d’œil dans la réfectoire. Il ne restait plus grand monde. Peut-être que ...

Il lui jeta un regard interrogateur, demandant imperceptiblement  s’il avait fait le rapprochement, ou s’il avait une idée. 

Silma hocha la tête pour confirmer cette définition. Entre quoi ? Là était la question. Son camarade sembla réfléchir un instant, puis se lança à voix basse.

- Tu as des gênes d’ange ?

Silma sourit, amusé. Perspicace, mais facile, en même temps il n’avait pas pu être très discret à cause de cet ... abruti, dirons-nous.

- A cause de ma ... « pureté » ? C’est ça ?

A y repenser, Alexei aussi avait sentit ce quelque chose, comme ceux avec qui ça finissait généralement en bagarre ... Silma espéra juste que ça n’allait pas finir comme ça. Il avait quand même l’air de bien s’entendre, non ? Théorie à revoir après la révélation qui suivrait ... Souvent, on lui avait dit qu’il avait un quelque chose de pur, que les gens n’aimait pas trop d’ailleurs et ils lui faisaient bien ressentir aussi.

Dans la cantine, il ne restait plus grand monde. Après s’être assuré que personne ne pouvait les entendre, le jeune garçon repris :

- Ou alors c’est le tatouage dans mon dos trempé à cause de l’autre bouffon.

Il avait finit sa phrase en insistant sur le dernier mot dénué de toute tendresse. Il en frissonna encore tout en soufflant. Ce pauvre abruti avait plutôt intérêt de raser les murs quand il le croiserait dans les couloirs. Quel abruti franchement ! On ne jouait pas avec de l’eau ! Il reprit sur le ton de la confidence :

- Alors, oui. Comme toi, je suis né d’un croisement entre deux races. Mais eux, savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Mon père est un Ange, ma mère une elfe. Leur différence n’altéra en rien l’amour entre eux. Mais les peuples de chaque côté tiennent chacun à la pureté de leur propre race. Malgré cela, mes parents continuèrent à se voir. Et je suis né.

Il s’arrêta un instant, repensant à sa mère, lorsqu’elle lui avait expliqué l’histoire taboue dans sa propre famille.

- Mes parents durent cacher ma naissance. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, un hybride n’est pas accepté dans nos sociétés. En même temps, mon père serait un Ange ayant de hautes responsabilités, un archange je crois d’ailleurs. Et ma mère est une des grandes dirigeantes de mon peuple. Donc ça aurait été très ... gênant que ça se sache. Surtout que la sanction ... enfin c’est sévère et surtout définitif.

Il soupira, puis repris :

- Ma mère a du se retirer loin des villes pendant mes premières années le temps que je découvre mes pouvoirs et que je les maîtrise. Elle était souvent absente car elle devait continuer à travailler. Et quand j’ai enfin pu maîtriser mes ... dons, que je pouvais me montrer comme un elfe, nous avons déménagé pour revenir en ville. Et là j’ai du faire face au véritable problème.

Il se gratta inconsciemment la nuque. Ce moment où les problèmes ont commencé, les bastons et les règlements de compte, la tristesse dans les yeux de sa mère quand il rentrait avec des plaies ainsi que l’incompréhension et le mépris du reste de la famille. Lui n’avait rien demandé de tout ça. Il ne cherchait jamais les autres, les autres ressentaient quelque chose chez lui qu’ils n’aimaient pas et le cherchaient et le poussaient à bout.

- Cette ... pureté que tu ressens, qui semble émaner de moi, c’est un vrai problème. Tu ne perçois sûrement pas pourquoi, parce tu ne sembles pas ressentir de haine, mise à part celle envers les humains. Mais, certains cherchent à savoir le pourquoi de la chose, et surtout cherchent à ... à éradiquer la source, si tu vois ce que je veux dire ...

Il resta quelques instants sans parler. Il ne savait plus quoi dire, alors il attendit une réaction d’Alexei.

[Encore désolée du retard, je viens de finir mes cours et les derniers contrôles m'ont pas mal accaparés ...]

Un silence s’installa et Alexei décida d’aller chercher à manger pour la seconde fois. Silma, un peu décontenancé par le récit de son histoire, le suivit sans mot dire. C’était la seconde fois qu’il se livrait à une personne extérieure à sa famille. La première fois, c’était auprès d’une amie elfe. Comme lui, elle s’était montrée compréhensible. C’était le contraire avec ceux qui ne connaissent pas son histoire, ils ne lui laissaient même pas le temps de s’expliquer et attaquaient directement ...

- Bah alors mon p’tit dépêche-toi de choisir, il va plus rester grand-chose !

Silma sortit de ses pensées et releva la tête. La serveuse le regardait, un sourire amusé au coin des lèvres. Cela devait faire quelques minutes qu’il était resté immobile devant les plats. Il secoua la tête, et s’excusa en bafouillant. Finalement, il n’avait plus très faim et il choisit juste un dessert. Toujours dans ses pensées, il retourna à la table et commença à manger sa mousse au chocolat. Le silence était de retour à la table.

Soudain, un groupe d’élèves portant des instruments de musique passa près d’eux, parlant fort et jouant un peu de musique, pas forcément accordés ni synchrones. Le jeune elfe les regarda passer, fit légèrement la grimace, puis haussa les épaules. Puis il plongea son regard dans celui d’Alexei, être mi-humain, mi-loup. Ils étaient si différents et pourtant si similaires.

- Tu sais, c’est la première fois que je me livre comme cela à un ... inconnu. Maintenant que j’y repense, ça me paraît peu prudent ... Il y a quelques temps encore, je n’aurais jamais fait cela. Mais tu as l’air sympa, aussi prudent que moi, on se ressemble. On a tous les deux un passé douloureux. Et pour la première fois, j’apprécie la compagnie d’un être qui pourrait pourtant me nuire. Tu es différent des autres.