Une ombre au clair de lune, comme disais la chanson... L'ombre en question, ce soir, c'était moi.
Quoi de plus doux, en effet, qu'une promenade nocturne ? Pour quelqu'un qui, comme moi, ne pouvait pas supporter la foule, ces moment étaient bénis.

J'avais d'ailleurs de la chance : j'avais une chambre pour moi tout seul, pour l'instant. Je n'avais ainsi pas à justifier à qui que ce soit mes escapades nocturnes.
Viendrait un moment où je serais obligé de partager mon dortoir. Je croisais les doigts pour tomber sur un colocataire compréhensif.

Seulement quatre jours que j'étais dans ce pensionnat. C'était pour moi une torture mentale de fréquenter un lieu aussi peuplé. L'avantage, c'est que les élèves y étaient globalement heureux. Ça m'évitais au moins d'avoir à ressentir tout la détresse du monde.
Un autre point positif à ce changement, c'est que j'avais commencé à maîtriser mon pouvoir. Peut-être que l'atmosphère surnaturelle qui régnait dans cette école était propice à cet apprentissage ? Je n'avais pas de réponse. Quoi qu'il en soit, je parvenais à contenir mon Empathie plus longtemps, et à moins en souffrir après coup.

Mai d'un autre côté, ces lieux étaient assez inquiétants. J'avais été prévenu que le Pensionnat Tsuruko regorgeait de personnes aux pouvoirs surnaturels, comme moi. C'était d'ailleurs la raison de ma venue ici.
Mais j'avais observé de drôles de comportements chez certains camarades de classe. Et certains était dotés d'une morphologie étrange.

Je soupçonnais cette école de ne pas accueillir que des humains...

Mais à quoi bon repasser ces pensées dans mon esprit ? J'étais paisible, et je venais d'arriver au Lac qui se trouvait non loin du pensionnat.
Je retirais mes chaussures et marchais dans le sable qui formait une espèce de plage autour du lac. Bien sûr, ça ne valait pas le sable fin de la mer, mais la sensation restait néanmoins agréable.

Je m'approchais de l'étendue plane et liquide et y plongeait le bout de mon pied, que je retirais prestement. L'eau était fraîche.
Je n'aime pas vraiment l'eau. Je n'aime pas m'y baigner ou m'y tremper, par exemple. Mais l'eau est toujours agréable à regarder. Surtout quand les conditions sont bien réunis : une nuit nuageuse, un peu de vent, une odeur d'humidité annonçant l'orage... Une nuit comme ce soir là, en somme !

Je m'allongeais dans le sable, tout habillé, et regardait le ciel. Les nuages noircis par l'obscurité figuraient des formes étranges sur la voute céleste. Malgré cette grande couverture cotonneuse, la lune était toujours visible, les nuages ne passaient pas devant.

Je me redressais et m'assis en tailleur. Ma main commença à tâtonner dans le sable. Mes doigts se refermèrent sur un galet plat et lisse, doux au toucher.
D'un geste vif du bras, je le lançais dans l'eau. Un rebond. Deux rebonds. Trois. Puis le caillou coula. Seul le bruit des ricochets faisait rempart face au mur sonore du vent, unique son audible par l'oreille humaine en cet instant.

Je gardais les yeux fixés sur la surface du lac, où s'effaçait les derniers cercles produit par le galet.

Alors que je m'abimais à la contemplation de l'eau, je sentis une présence. Une présence diffuse.
Un individu, apparemment calme, s'approchait du lac.
Je bloquais mon Empathie, par respect pour la personne qui arrivait : je n'aimerais pas que quelqu'un puisse savoir exactement ce que je ressens.
Mais il ne faudrait pas que la personne tarde trop dans les parages, car je ne pouvais pas retenir mon pouvoir indéfiniment.

Malheureusement, l'individu semblait aller vers le lac. Je ne me retournais pas, attendant qu'il arrive. D'après ce que j'avais ressentis, il ne s'agissait pas d'un serial killer ou d'un psychopathe. Dans ce cas,, pourquoi m'en faire.

Lorsque je sentis que la personne était en mesure de me voir, j'énonçais ma question à voix haute, sur un ton calme et posé :

-Qui est là ?

Je passais de la position du tailleur à la position fœtale, je calais mon menton entre mes deux genoux et regardais toujours le lac, attendant une réponse de l'inconnu(e) qui venait troubler ma contemplation.

J'entendis un bruit de pas dans mon dos. Je ne me retournais qu'au bout de quelques instants, histoire de savoir à qui j'avais à faire.
Mais alors que je pivotais en allongeant mes jambes pour quitter ma position, je n'eus que le temps d'entrapercevoir une tâche blanche dans l'air. A l'instant où celle-ci disparaissait, je sentis comme une présence proche, très proche devant moi.

Je tournais vivement la tête, avant de me retrouver nez à nez, au sens propre, avec un visage que je n'eus pas le temps de détailler à loisirs, puisque trop proche pour être observé nettement. Malgré cela, j'en convins assez facilement, grâce à la finesse des traits, qu'il s'agissait d'une fille.
Cette apparition subite me surprit, et cette surprise pouvait certainement se lire dans mes yeux. Mais de peur, nulle trace : je m'étais préparé à voir des choses étranges dans les alentours de ce pensionnat.

Un éclat de rire cristallin brisa la quiétude, transfigurant le silence qui l'avait précédé. La jeune fille répondit finalement à ma question :

-Moi~ et toi, qui es-tu ?

Avant que je n'eus le temps d'ouvrir la bouche, la demoiselle disparut pour réapparaître quelques mètres plus loin, ses pieds effleurant l'eau. A cette distance, je pouvais mieux la détailler.
Elle paraissait très jeune. Environ quatorze ou quinze ans. Elle était d'une blancheur immaculée : sa peau, ses habits, et surtout ses cheveux...

Son regard se porta sur la lune, encore visible, puis redescendirent vers moi. Elle m'observa un petit moment, puis se téléporta à nouveau et se trouva face à moi, la tête tenue entre ses mains. Son corps était parallèle au sol et lévitait comme par magie, comme elle l'avait fait au-dessus de l'eau tout à l'heure. Elle prononça alors une étrange phrase :

-Joues avec moi~

Elle me fixait droit dans les yeux, comme si elle me sondait. Quant à moi, tout en la regardant, je luttais pour ne pas libérer mon empathie et lire en elle.
Je restais quelques instants à regarder cette enfant, n'arrivant pas à assimiler la réalité de ce qui se passait sous mes yeux. Je commençais à lever ma main dans le but de la toucher, pour vérifier s'il ne s'agissait pas d'une simple apparition...

Je m'abstins pour deux raisons : la première, c'est que j'avais bel et bien senti son nez tout à l'heure.
Et ensuite, on ne touche pas les gens qu'on ne connaît pas. Règle de base de la bienséance.

Je me retenais donc du moindre mouvement. Je me laissais aller à laisser tomber l'idée d'expliquer par une quelconque logique ce qui se passait en ce moment même. Après tout, plus rien n'était normal depuis l'épisode de la lune.

Le silence s'étirait entre nous deux. Je devais un peu passer pour un idiot à ne pas parler, tout en fixant l'albinos. Pour ne pas risquer de la gêner, je décidais de finalement prendre la parole :

-Je me nomme Lewis.

Abrupte et sans la moindre émotion, cette réponse n'était pas vraiment celle que j'avais pensé.
Je repris d'un ton plus doux, et avec une réelle envie de l'interroger :

-En quoi consiste ton jeu, jeune demoiselle ?

-Mon jeu ? Et bien... Suis moi.

Aussitôt que la jeune fille aux cheveux blancs eut prononcé ses mots, quelque chose apparut à la bordure de la plage. Devant le lac se matérialisa une grande porte rouge, entrouverte sur ce qui semblait être une autre dimension. Dans l’entrebâillement, on pouvait apercevoir un décor qui ressemblait fortement à une maison de poupée.
Ma surprise ne fut que plus légère que lorsque la demoiselle était apparue devant moi, tout à l'heure. Capacité d'adaptation en milieu inconnu, c'est comme ça que ça s'appelle.

Une fois le passage apparu, l'albinos prononça de nouvelles paroles.

-Viens... Viens là dedans avec moi, je ne veux pas y aller seule... Ca me ferait peur

Elle attrapa alors ma main, pour m'inviter à la suivre. Sans être brusque, elle attendait que je me mette en mouvement.
Mais cela était-il bien raisonnable ?

-Je crois qu'il est inutile d'essayer de trouver quelque chose de logique dans ce qui se passe ce soir... Et bien, allons-y !

Je me redressais en esquissant un léger sourire, sans lâcher la main de ma partenaire.
Nous nous approchâmes de l'étrange portail. Elle rentra en première, et je la suivais de près.

L'intérieur de cet espace était des plus singulier : sur des étagères trônaient des poupées au visage blanc, nous regardant fixement avec leurs yeux de cire sans vie. Sur le sol traînait des éclats de verre.

L'endroit respirait l'innocence et le calme... Au point d'en devenir oppressant.

Je continuais à inspecter les lieux sans rien dire, j'observais chaque détail, chaque recoin de la pièce...
Je me retournais alors vers la jeune fille. En la détaillant, je me rendais compte qu'elle s'accordait particulièrement bien aux lieux environnants. Je lui demandais :

-C'est ici que tu vis ? Ça doit être assez... Bizarre, non ? Pas que l'endroit soit laid, bien au contraire, j'aime beaucoup. Mais il règne une drôle d'atmosphère, tu ne trouves pas ?

Ce n'était pas dans mes habitudes de parler autant, à moins d'y être vraiment contraint, ce qui n'était pas le cas à l'heure actuelle.
Bizarrement, je me sentais en confiance ici. Comme hors de ce monde que je haïssais pour la douleur qu'il me procurait.

Je tenais toujours sa main, qui m'avait jusqu'à présent parue d'une tiédeur naturelle. Mais alors que j'achevais ma phrase, un malaise m'envahit, et cette main me parut soudain beaucoup plus froide.

Mon Empathie se libérait.

Je fixais la main de la jeune fille, les yeux grands ouverts. La surprise que j'éprouvais à ce moment-là ne pouvait pas être camouflée : elle était visible sur tout mon être.

Trois mots traversèrent mon esprit pour décrire ce que je ressentais : Calme, Tristesse, Solitude...
Mes yeux s'humidifièrent sous le coup de l'émotion, et je battais plusieurs fois des cils. Je relevais ensuite mon regard vers l'étrange demoiselle. Son comportement enfantin n'était visiblement que façade.

Je la fixais en silence pendant quelques instants, droits dans les yeux. Je ne cherchais pas à la mettre mal à l'aise, mais je cherchais justement à lui faire comprendre mon malaise et ma surprise.

Je prononçais alors ces mots, lourds de sens :

-Pour... Pourquoi te sens-tu si seule ?

C'était le revers de la médaille de mon don : pouvoir lire dans le cœur des gens comme dans un livre ouvert. Ne rien pouvoir me cacher...

Bien sûr, il avait fallu que je pose la question taboue, la phrase à éviter. Une seconde passa, puis une deuxième, nos regards toujours plongés l'un dans l'autre. Avant même que ses larmes ne coulent, j'avais deviné qu'elle allait pleurer.

Cela ne m'empêcha pas d'être surpris lorsque la joue de la demoiselle furent inondés par un flot de larmes. J'avais gaffé, c'était certain.
Restait à savoir comment rattraper mon erreur.
Souffrance et son amie Peine envahirent mon cœur, bien qu'elles n'étaient pas miennes. C'était les émotions de la jeune fille qui m'envahissait. Recevoir, comprendre, mais incapable d'aider. Ah si seulement j'avais aussi eu un don à même d'aider les gens dans la détresse.

Car c'était une vision bien pathétique qui s'offrait à moi. La jeune enfant immaculée avait quitté les airs pour toucher terre. Des sanglots s'échappaient de sa gorge dans un rythme irrégulier. Sa tête était baissée vers le sol, et ses cheveux passés devant son visage baigné par les larmes.

-Je ne suis pas de votre monde... Je ne suis qu'une invention d'une petite fille trop seule... Elle aussi. Mais elle m'a abandonnée ! Tout le monde m'abandonne moi ! Ici... Je ne suis pas complétement seule...

Elle désigna les poupées, trônant sur leurs étagères, nous observant toujours de leur dérangeant regard de cire.

Elles sont là... Elles ne sont pas animées... Mais même... Jamais... Non... Je ne mérite pas d'avoir un ami... Ni qui que ce soit proche... Je ne suis qu'une poupée... Comme elle...

Elle prit sa tête entre ses mains et continua à fixer le sol. Je restais face à elle, la regardant.
J'étais tétanisé. La situation m'échappait complétement. Depuis que j'étais doué d'empathie, je n'avais pas côtoyé de personnes d'assez près pour me parer à ce genre de scènes.
J'avais failli utiliser le terme "humain", mais de ce que j'avais compris, elle était loin de l'être.
Elle était le fruit de l'imagination d'une personne qui l'avait délaissé, comme un vieux jouet que l'on jette après s'être amusé avec.

Cette idée me répugnait. Je n'avais pas face à moi un simple jouet, mais un être vivant, avec des émotions et des pensées. Pas un objet que l'on peut prendre et jeter à notre guise.
Cette pensée me donnait plus encore envie de l'aider. Mais que faire lorsqu'on n'a pas la moindre notion de psychologie ? Certes, avec un peu de chance, je pourrais parfaitement me sortir de ce mauvais pas, mais une mauvaise manœuvre de ma part suffirait à tout foutre en l'air.

Je restais donc face à la jeune albinos, les yeux posés sur sa tête, les bras à moitié levés, ne sachant que faire.
Il dut bien s'écouler une bonne minute pendant laquelle aucun de nous deux ne quitta sa position. Le seul bruit venait des pleurs de la jeune fille.

Finalement, une seule chose me poussa à agir, l'instinct. C'était quitte ou double.

Je levais un peu plus les bras et, maladroitement, je tentais d'enlacer la jeune fille. Pas trop fort, et en gardant une distance raisonnable entre nous. On ne peut rien contre sa nature.
Je prononçais quelques mots, improvisés sur le tas et que je jugeais les plus à même de nous tirer de cette situation embarrassante.

-Je suis... Désolé. Je n'aurais pas du poser une question comme ça, aussi personnelle... Mais maintenant que je sais ce que tu es, je n'ai qu'une envie, c'est de te redonner le bonheur. Ce que tu as subis est cruel, et je ne supporte pas cette idée que tu te sois faite abandonner comme un vieux jouet...

Je me reculais un peu et posais mes mains sur ses épaules. Elle releva la tête. J'essayais, sans grand succès, néanmoins, de lui sourire.

-Certes, tout le monde ne le désire pas, mais toute créature pensante et émotive, à mon sens, à le droit d'être appréciée et entourée. Ne te rabaisse pas, tu mérites des amis autant que quiconque sur cette Terre !

Je m'étonnais de plus en plus à chaque seconde : d'où pouvait bien me venir ses paroles ?

-Hotaru, je m'appelle mangetsu Hotaru

Ces quelques mots, dans la bouche de la jeune fille, résonnait d'une manière étrange. Il semblaient dit sur un ton... De confidence. Comme si elle me dévoilait un secret, qu'elle découvrait une partie d'elle même cachée sous un voile dont personne ne connaissait l'existence, à part elle.

Hotaru, car tel était son nom, finit par lâcher ma main. Elle s'éloigna de moi. Je constatais seulement à ce moment-là qu'elle allait pieds nus.
Elle reprit la parole :

-Les humains ne sont pas gentils avec ce qu'ils créaient, je ne sais pas pourquoi... Peut-être de la rancoeur ou de la haine envers eux. Si j'avais su plus tôt je n'aurais pas étais là, je serais partie de ce monde pour mourir... Ca ne sert à rien.

La jeune albinos s'approcha d'une porte que je n'avais pas remarquée, et qui s'ouvrit sans même qu'elle est eut besoin de la pousser. La nouvelle pièce était assez ressemblante à celle dans laquelle je me trouvais, à la différence notable qu'à l'intérieur ne se trouvait qu'un unique meuble : un grand lit à baldaquin, entièrement blanc, à l'image de son immaculée propriétaire.

Hotaru pénétra dans la pièce de sa démarche légère. Elle se laissa choir sur le bord du lit, et resta assise. De sa main, elle tapota l'espace qui restait sur son côté gauche tout en me fixant. Je pris ce geste pour une invitation, et je la suivais dans la chambre. Je m'assis calmement à côté d'elle, veillant à conserver une certaine distance et à ne pas trop remuer le lit.

Et une fois encore, le silence. S'il fallait additionner tout les moments de vide absolu depuis que nous nous étions rencontrés, on obtiendrait facilement... Les trois-quarts du temps, à peu de choses près.

Je fixais mes pieds tout en gardant les mains croisés. La jeune demoiselle, à mes côtés, n'esquissait pas le moindre mouvement. Cette absence de conversation devenait presque gênante. Mon cerveau tournait à plein régime pour trouver quelque chose d'utile et d'intelligent à dire.

Ah, si seulement j'avais été capable de toujours improviser comme je l'avais fait quand j'avais essayé de la réconforter !

Et ce vide sonore qui continuait de s'étirer, fort de sa présence et envahissant. Il fallait que ça cesse !

Finalement je me jetais à l'eau. Il valait mieux une question peu intéressante que rien du tout.
Surtout que celle que je venais de trouver était loin d'être si inintéressante que ça.
Je me retournai vers ma "compagne" nocturne.

-Dis-moi... Pourquoi m'as-tu emmenée ici ? J'ai l'impression que tu n'apprécies pas que l'on te pose des questions trop personnelle, qu'on en apprenne trop sur toi... Et tu m'invites maintenant là où tu vis. N'est-ce pas un peu... Paradoxal ?

J'avais visé juste avec mon interrogation : Hotaru retrouva le sourire qu'elle arborait au moment de notre rencontre, à ceci près que ce sourire était vraiment sincère contrairement au précédent : j'avais en effet ressenti en elle la joie poindre.

Elle se redressa brusquement. Alors qu'elle aurait du atterrir sur le carrelage, la jeune fille se remit à léviter, et ses pieds restèrent suspendus à quelques centimètres du sol. Elle se tenait maintenant face à moi.

-Je voulais te faire peur. Les gens viennent et repartent bien vite d'ici. Ils sont bien effrayés d'habitude... Tu aimes danser ? Moi j'aime beaucoup !

Je tressaillis légèrement à la première partie de sa phrase. Elle avait donc voulu me faire peur. Devais-je le prendre comme un enfant qui vient discrètement dans votre dos et qui crie "BOUH !", ou comme une véritable tentative d'intimidation ?

Puis son discours changea du tout au tout. La danse... J'étais parfaitement incapable de répondre à sa question. Je me souvenais juste qu'on m'avait appris à valser il y a fort longtemps. Après, savoir si j'aimais ça... Je n'en avais pas la moindre idée.

Entretemps, elle s'était saisie de ce qui ressemblait à une boîte à musique. Elle fredonnait l'air d'une musique tout en posant la boîte. Elle revint alors vers moi, les pieds bien ancrés au sol, cette fois. Elle tendit la main vers moi :

-Tu veux danser avec moi ?

Une invitation de plus, ce soir. Depuis le début, c'était Hotaru qui menait notre petite rencontre nocturne. Je n'étais qu'un simple spectateur, ce qui d'un côté n'était pas pour me déplaire. Prendre des initiatives, aller de l'avant... C'était des choses que je n'aimais pas. Et que quelqu'un s'en charge pour moi m'allait très bien.

Je me levais du lit.

-Et bien... Je n'ai jamais eu l'occasion de danser dans un autre contexte que celui d'une leçon... Il faut bien un début à tout ! ajoutai-je en souriant.

Je saisis sa main et me laissais aller au rythme de la musique. Hotaru menait la danse, je suivais comme je le pouvais. Je pensais néanmoins m'en sortir de manière somme toute correcte.

J'étais un peu gêné par la proximité de cette étrange jeune fille... Mais j'avais choisi de la suivre jusqu'ici, je devais assumer mon choix jusqu'au bout !
Nous dansions sans parler pendant les quelques minutes que durèrent la musique. C'était un moment assez étrange, comme dans les rêves, où l'on a l'impression d'être hors du temps...

Mais après tout, ne l'étions nous pas, depuis que nous étions rentrés dans ces lieux ?
La musique s'acheva sur un ralentissement progressif, sur lequel nous calquions nos pas. Puis vint la dernière note, qui résonna longtemps. J'attendis qu'elle s'évanouisse pour relâcher la jeune albinos. J'avais rougi et j'étais gêné, certes. Mais visiblement, elle avait prit plaisir à cette danse.

Je contenais de nouveau mon Empathie, m'en sentant à nouveau capable. Et je restais là, à la regarder stupidement, ne sachant que dire...

Alors que je la fixais, la jeune fille s'approcha de moi.

-Dis moi, pourquoi t'es tout rouge ? T'as de la fièvre ?

Je faillis rire à cette question. Pas vraiment un rire amusé, mais plutôt un rire nerveux. Heureusement, Hotaru m'interrompis à temps en posant sa main sur mon front, comme pour prendre ma température. Elle la retira rapidement.

-Non... Est ce que ça va ? Tu veux t'asseoir ?

Avant même que j'eus le temps de dire quoi que ce soit, elle me prit par la main et m'entraîna vers son lit, où elle me fit assoir. Décidément, cette petite avait du caractère !
Elle se remis à léviter face à moi, les jambes croisés, ses petites mains saisissant ses chevilles, le sourire aux lèvres. Elle prononça un simple mot :

-Merci.

Un remerciement. Mais pourquoi ? Je n'avais pas fait grand chose, pourtant.
J'étais presque tenter de sonder son cœur pour trouver la réponse. Je me contins néanmoins, par politesse.

Je pris un peu de temps à formuler ma réponse. Je devais sûrement passer pour quelqu'un de lent et d'apathique. Je l'étais, bien sûr, mais rarement à un degré aussi élevé. Je pris enfin la parole :

-Je t'en prie, il n'y a pas de quoi. Si c'est pour la danse, se fut aussi un plaisir pour moi...

Je baissais la tête et fixais mes mains. Je sentais que mes joues étaient encore chaudes et rouges.
Je sentais le regard de la jeune fille sur moi, et je n'osais relever les yeux. Il était difficile pour quelqu'un comme moi d'avoir une conversation normale. Je maudissais mon côté sociopathe et ma gaucherie intérieurement.

J'étais, une fois encore, à la recherche des bons mots à prononcer. j'enviais ces gens qui n'avaient pas besoin de réfléchir avant de parler, car ils trouvaient naturellement les mots justes.
J'étais comme un écrivain face à l'amorce de son chapitre : à l'angoisse de la feuille, je répondais par l'angoisse du vide de parole, bien plus gênant puisque partagé.

-Cette soirée prend une drôle de tournure... D'une méditation sur le lac, j'en suis arrivé à être invité dans un univers parallèle par une charmante jeune fille. Comme quoi, le destin s'amuse bien avec nous...

Si j'avais pu, je me serais frappé le front du plat de ma main : cette phrase était d'une banalité telle qu'elle m'affligeait.

J'attendais que l'albinos réponde, curieux toutefois de connaître son point de vue sur la chose...

-Je n'aime pas les mensonges. Le mot charmant était de trop je trouve.

Je relevais les yeux, surpris par cette réponse cinglante. Cette surprise ne fit que s'accroitre lorsque je vis que Hotaru se trouvait maintenant la tête en bas face à moi...

J'étais légèrement déçu par sa réplique. En effet, il m'arrivait souvent de ne pas être honnête avec les filles, pour me tirer de diverses situations embarrassantes.
Et là, alors que je lui faisais un compliment de manière sincère, elle me le renvoyait à la face, prétextant le mensonge. Il n'en était pourtant rien, il fallait bien avouer qu'elle possédait un certain charme.

La jeune fille se remit finalement à l'endroit et se recoiffa rapidement, tout en continuant de me fixer.

-Mais il est vrai que le destin aime s'amuser avec les gens. Moi j'aime... Si ça peut combler un peu le vide que j'ai...

Un grand sourire s'étira sur ses lèvres. Et soudain, elle disparut, comme par enchantement.
La pièce était complétement plongée dans le silence, à un point tel que c'en était anxiogène. Je commençais à être inquiété par ces lieux.

-Heu... Hotaru ?

Au moment où je l'appelais, elle réapparut, tenant dans ses mains une peluche un peu sale. Elle recommença à me fixer de son regard. Puis, tout en continuant de flotter dans les airs, elle alla se placer dans mon dos.
Elle me demanda alors :

-Tu dois repartir nan ?

Je me retournais pour la regarder. Je fus contraint de mettre l'une de mes jambes sur le lit pour pouvoir la voir correctement.
Je lui répondis :

-Comme je n'ai pas la moindre idée de l'heure qu'il est, je ne saurais te répondre par oui ou par non. Mais si par cette question, tu insinues que tu veux te débarrasser de moi, tu peux aussi me le dire clairement !

Je ris légèrement, pour la première fois depuis longtemps. Puis je baissais les yeux pour regarder ma main, posée sur le drap. Ce geste n'était pas dû à la timidité, comme pouvait en témoigner le sourire qui restait imprimé sur mes lèvres, mais par un souci de retrouver mon calme : si j'avais continué à regarder Hotaru, j'aurais continué à rire.

Je m'étais rarement senti aussi à l'aise avec quelqu'un depuis que j'étais devenu empathe. Rarement ? Non, c'était même la première fois, tout bien réfléchi. Pourtant, elle n'était pas humaine, et dégageait des émotions tellement fortes que je n'aurais du avoir qu'une envie : fuir. Et pourtant, j'étais en train de passer une soirée fort agréable en sa compagnie...

*Une amie ?

Peut-être la première depuis que j'avais vu la lune. Néanmoins,cela restait encore à préciser, il faudrait qui j'y réfléchisse à tête reposée.

Je me remis en mouvement, je me levais du lit et me campais face à Hotaru, tout en continuant de sourire.

-Alors , Souhaites-tu que je m'en aille ? Car rien ne m'oblige à partir : demain est un jour sans cours, et je n'ai pas de colocatire ou de famille à qui je devrais rendre des comptes !

Après un court instant de réflexion, Hotaru répondit :

-Et bien si tu veux rester, reste ! Moi ça ne me dérange pas ! J'aurai de la compagnie autre que mes poupées ! Veux-tu dormir ou bien ?

Sa question resta en suspens. J'étais relativement content qu'elle ne m'ait pas congédié.
La jeune fille attrapa l'un des coussins qui trônait sur son lit, puis, se rapprochant de moi, elle me tapa la tête avec. Quelques plumes s'échappèrent de la toile de l'oreiller, tandis que Hotaru se mettait à rire.

-C'est un peu cliché, comme vous le dites vous les humains... Mais si tu veux et que tu n'as pas sommeil, on peut faire une bataille de coussins

Elle retira le coussin de sur ma tête et me regarda, attendant manifestement une réponse.
Je la contournais pour attraper l'un des oreillers. Je le pressais entre mes mains puis, tout en le regardant, je répondais à mon hôte :

-La fatigue n'a jamais été un problème pour moi. Mais la bataille d'oreiller...

Je me retournais vers la jeune albinos.

-Je ne sais pas si c'est...

Un coussin apparut dans mon champ de vision. Impact imminent.

-.... Une bonne idée...

Et le choc. Le coup me déséquilibra, et je me retrouvais assis au milieu des coussins. Je relevais la tête et regardais la jeune fille, qui tenait toujours son oreiller, le sourire aux lèvres. Je me redressais et empoignais fermement le mien.

-Bon... Et bin... Si c'est-ce que tu veux.

Je lançai mon projectile d'un geste vif sur Hotaru, puis je me relevai, attrapai un autre coussin et me ruai sur elle en riant.
A quel point étais-je retombé en enfance à cause d'elle ?

Les coups fusèrent, ponctués par nos rires entremêlés. Nous nous poursuivions tour à tour, armés d'un simple oreiller.
J'avais l'impression d'avoir en cet instant retrouvé ma vie d'avant, lorsque fréquentais des gens ne m'était pas encore insupportable, lorsque j'avais encore un solide noyau social autour de moi...

Je lui était reconnaissant de m'avoir fait retrouver ces quelques sensations de bonheur simple. Elle semblait avoir une influence bénéfique sur moi.

Perdu dans mes profondes réflexions, je ne vis pas le coup d'Hotaru arriver, et je le pris en pleine face, si bien que je basculais en arrière et me retrouvais allongé sur le lit. Pour éviter un futur assaut, j'essayais de faire une roulade arrière, mais j'avais mal calculé mon coup : je me vautrai lamentablement sur le carrelage, à côté du grand lit à baldaquin.

Je me relevais lentement et recommençais à "jouer" : malgré l'heure avancée, mon hôte semblait être en pleine forme !

Je ne saurais dire combien de temps nous passâmes à nous battre à coup d'oreiller, comme des enfants. Une demie-heure ? Une heure ? Deux ? Depuis que j'étais arrivé chez Hotaru, j'avais perdu toute notion du temps.

Le jeu s'acheva sur un dernier coup que me porta la jeune fille : en pleine poitrine. Pas bien fort, mais je me laissais tomber, les bras en croix, sur le matelas.

-Pfouh... C'est bon, t'as gagné ! Moi, j'en peux plus !

Je fixais la tenture blanche qui surplombait le lit tout en reprenant mon souffle : les activités physiques, c'était vraiment pas mon truc...
Tout en gardant les yeux fixés sur la toile, je dis à la jeune fille :

-Merci... Merci beaucoup pour cette soirée. Grâce à toi, j'ai retrouvé des choses que j'avais perdu depuis bien longtemps... J'ai regoûté à une joie simple, alors... Je t'en suis reconnaissant. Merci pour tout...

Je conclus ma phrase sur un soupir, qui marquait à la fois ma fatigue due à la bataille de coussin et ma reconnaissance, dans une moindre mesure.

-Et bien de rien ! Ca m'a fait plaisir de pouvoir t'aider. Mais je ne pense pas que ce sois de l'aide...

Hotaru sauta alors sur le lit pour s'assoir sur le matelas. Elle pencha alors sa tête vers moi, à quelques centimètres de mon visage. Le rouge me revint plus violemment encore aux joues. Elle me parla :

-Tu es fatigué ? Alors ferme les yeux et dors !

Elle se leva du lit et s'en alla par la porte. Elle n'allait quand même pas m'offrir sa chambre pour la nuit ?
Je fus rassuré en la voyant revenir avec une couverture. Je m'apprêtais à me relever, mes elle posa le drap sur moi et alla elle aussi s'allonger, dos au mur, une peluche dans les bras.

Je m'enroulais dans la couverture en essayant de trouver une position confortable. Chose difficile, d'ailleurs : il fallait que je trouve la plus grande distance entre Hotaru et moi tout en évitant de tomber du lit. Le problème, c'est que le point d'équilibre entre ses deux paramètres se trouvait... Sur l'angle du matelas, position inconfortable s'il en est.

Le fait que j'essaie de mettre le plus de distance entre mon hôte et moi tenait principalement de ma gêne. Certes, j'avais bien dansé avec elle, tout à l'heure, mais là, ce n'était pas la même chose. Nous étions... Dans un lit.
La deuxième raison, qui était en partie liée à la première, c'est que j'avais le sommeil très, très agité. Il aurait été malheureux que je me réveille allongée sur elle juste parce que je n'avais pas mis assez de distance entre nous.

Évitez tout incident pouvant la mettre de l'embarras était, en cet instant, ma principale priorité. Le lit avait beau être un lit double, ça ne laissait pas beaucoup de marge de manœuvre pour être à l'aise. Après, si j'arrivais à me caler sur le bord, j'aurais put rester, mais je ne voulais surtout pas la déranger.

Après avoir remué pendant quelques minutes, je me redressai et m'assis sur le matelas. Serrant la couverture contre moi, je me tournais vers la jeune fille :

-Dis... Tu ne préférerais pas que je dorme par terre ? J'ai peur de te gêner, en fait...

A ma question, Hotaru se redressa à son tour sur le matelas et pencha la tête sur le côté, tel un animal surpris.
Elle me répondit :

-Mais nan ! Si ce n'est que pour une histoire de place je peux me changer. Et puis tu es mon invité, je ne vais pas te laisser dormir par terre.

Un léger pouf se fit entendre, et à la place de la jeune fille se trouvait...
Un chat ?

Je me frottais les yeux, mais j'avais beau chercher une explication, mon hôte s'était bel et bien changée en chat. Un chat blanc, tout aussi immaculée qu'elle l'était. encore un pouvoir surprenant...

*N'essaie pas de rationaliser tout ce que tu vois, Lewis. De toute façon, depuis que tu as mis les pieds dans ce pensionnat, plus rien ne tourne rond...

Hotaru, toujours sous sa forme féline, traversa la largeur du matelas et sauta sur le carrelage. Sur le sol se trouvait une pelote de laine que je n'avais pas remarqué à mon arrivée. De sa patte, Hotaru la fit un peu rouler. Puis elle la saisis entre ses pattes avant et s'envola jusqu'au bord du lit. Elle recommença alors à jouer avec la pelote, qui passait d'une patte à l'autre.

Elle délaissa finalement son jouet et alla se placer sur un coussin. Elle se retourna alors vers moi. Et quelle ne fut pas ma surprise de l'entendre parler malgré son corps animal :

-Alors et là, ça te va ?

Sa voix avait changé, elle était plus rauque qu'à son naturel. Je lui répondais, bien qu'il me parut assez déplacé de dialoguer avec un chat.

-Ca me va... Parfaitement...

Je ne pouvais pas m'empêcher de regarder le félin... De tout les pouvoirs que la jeune fille m'avait dévoilé, celui-ci n'était certes pas le plus impressionnant (la palme dans cette catégorie revenait au changement de dimension), mais c'était celui qui me fascinait le plus.

Me rendant compte que je la fixais comme un idiot depuis un petit moment, je détournai les yeux en rougissant : ne surtout pas la mettre mal à l'aise.
Même si, depuis notre rencontre, j'étais le seul à manifester de la gêne dans la plupart des situations.

Je me rallongeai en enroulant une fois de plus la couverture autour de moi. je pus me décaler un peu du bord du lit, la situation ayant changé...
Je me retournais sur le côté et fixais à nouveau le chat blanc comme neige. J'eus un petit sourire, et lui dis :

-Bonne nuit, jeune félin...

Je me remis sur le dos, fixant une dernière fois la toile blanche qui surplombait le lit, puis je fermais les yeux, attendant que le sommeil m'emporte...

Peu à peu, l'écran sombre de mes paupières closes céda la place à un autre décor.
Je me trouvais sur une vaste lande au ton vert pâle. Le vent couchait les brins d'herbes, et le ciel était paré d'une robe oscillant entre le violet et le gris. A quelques endroits émergeaient du sol des arbres au troncs noirs et aux formes torturées, levant leurs branches meurtris tels des doigts brisés vers la voute céleste.

Je me mis en marche dans ce décor de cauchemar, lentement. Le vent, puissant, sifflait à mes oreilles et rabattait mes cheveux vers l'avant.
Après une longue marche, j'arrivais au bord d'un dénivelé de terre boueuse, que je descendis prudemment.

Une fois arrivé en bas, je regardai à quoi ressemblait le nouveau paysage. Face à moi se trouvait un grand lac, aux eaux noires comme la nuit. De cette étendue se dégageait quelque chose de malsain et d'intangible. L'atmosphère était lourde.
Autour de l'eau se penchait les mêmes arbres torturés que j'avais aperçu dans la plaine, au détail près que ceci étaient bien plus massifs.
Courbés au-dessus du lac, ils semblaient admirés le reflet de leur corps mutilés dans un miroir trop sombre pour leur renvoyer une image, trop mauvais pour s'y baigner, leur racines fermement ancrées dans la terre brune.

Du ciel se fit entendre un grand bruit d'explosion. Une lueur blanche illumina ce "Parc de l'Eau noire" et durant une fraction de seconde apparut devant mes yeux le visage d'une poupée de cire au teint de cadavre, me fixant malsainement de ses deux yeux de verre. Puis elle disparut.

Un long râle se fit entendre, poussé dans des aigus insupportables pour l'oreille humaine. Puis il s'éteignit progressivement, se fondant dans le lourd silence des lieux. Je me dirigeais vers la source de ce bruit.

Je ne vis d'abord rien. J'avançais lentement sur la rive boueuse du lac, observant de temps à autre les vaguelettes formées par le vent.
Soudain, mon pied s'enfonça dans quelque chose de mou, mais d'un peu plus rigide que la pluie. Je levais la jambe pour voir sur quoi j'avais marché, et je fus prit d'un haut-le-cœur.

J'avais posé le pied sur un chat. Ou plutôt, sur les restes d'un chat : il avait le ventre ouvert et la gorge tranchée. Ses côtes cassées perçaient sa peau par de multiples fractures ouvertes, et ses yeux étaient crevés. Sa fourrure blanche était tachée de son sang...

J'ouvris brusquement les yeux, dans le monde réel, cette fois.
La première chose que je vis fut... Le visage endormi d'Hotaru, à tout juste cinq centimètres du mien. Je reculais vivement, et contre toute attente, je me trouvais encore sur le matelas. Je me rendis compte que j'avais tellement bougé pendant mon sommeil que j'en étais presque arrivé à me coller contre mon hôte. Presque, il s'en était fallu de très peu.

Je me levais du lit, afin de ne pas déranger la jeune fille. Je ne me rendis comte qu'après coup qu'elle avait délaissé sa forme féline pour reprendre apparence humaine. Je secouais la tête pour empêcher un nouvel afflux sanguin au niveau de mes joues. Ce qui était stupide, car secouer la tête n'a jamais empêché de rougir.

Je marchais un peu sur le carrelage froid de la chambre. Hotaru, recroquevillée dans son lit, paraissait encore endormie.
Il me semblait que j'avais assez abusé de son hospitalité. Je pris la décision de quitter les lieux : si j'avais voulu me remettre dans le lit, j'aurais risqué ou de la réveiller, ou de provoquer un incident comme je venais juste de frôler.
Et si elle me trouvait endormi par terre à son réveil... Qui sait, elle pourrait franchement se foutre en rogne.

Je quittais la chambre en fermant la porte derrière moi, le plus doucement possible. Néanmoins, je ne pouvais partir comme un voleur. Je fouillai l'intérieur des poches de mon pantalon, et j'en tirais une feuille plié en quatre, ainsi qu'un stylo noir.
Je posai mes affaires sur une petite table qui se trouvait dans la pièce, et commençai à rédiger un message à l'intention de la jeune albinos.

Hotaru,

Je suis parti pendant que tu dormais encore. En effet, j'ai eu un réveil brutal tout à l'heure, et pour ne pas t'importuner, j'ai préféré quitter cet endroit pour ne pas te déranger en essayant de me rendormir.

Saches que je te remercie du fond du cœur pour cette nuit que j'ai passé en ta compagnie. Tu es la première personne que je peux décemment qualifier "d'amie" depuis que j'ai acquis mon dos.
Mais comment savoir si mon ressenti est réciproque ? Car il se peut que je me trompe sur toute la ligne : j'ai cru lire en toi que tu aimais t'amuser avec les gens. Il se pourrait que je sois tombé dans l'un de tes pièges et que je me sois leurré, mais peu importe. Tu m'as fait passé le moment le plus agréable que j'ai connu depuis près de trois ans.

J'aimerais avoir l'occasion de te revoir. Tu dois bien étudier au pensionnat, vu ta... Condition. Nous aurons peut-être l'occasion de nous croiser au hasard d'un cours, d'une visite à la bibliothèque...

Ou d'une nuit de méditation, qui sait ?

Avec mes remerciements les plus sincères.

Lewis

Satisfait, je déposai mon message devant la porte de la chambre et me dirigeai vers l'entrée, que j'ouvris et que je traversai d'un pas vif.

Un choc. Tout ce qui l'entourait était devenu liquide. J'avalais un peu d'eau en essayant de respirer, puis je battais des jambes afin de trouver de l'air...

Ma tête creva finalement la surface, et j'aspirais de l'oxygène à grandes bouffées, emplissant mes poumons brûlants d'air frais.
Je regardai autour de moi et me rendis compte que j'étais bien plus éloigné de la rive que prévu.

Je nageai jusqu'à la plage et je m'y laissai tomber à quatre pattes, suffocant, toussant et jurant :

-Puain de -Kof ! kof ! - Bordel de merde ! Pourquoi elle a bougé, cette - kof ! - foutue porte !

Je jetais un regard en arrière et, je constatais qu'il n'y avait plus trace du passage qui m'avait emmené chez Hotaru.
Je me relevai, puis je sautillai sur place tout en me frictionnant les bras.

-Wah ! Comme ça caille !

Tout en me réchauffant comme je pouvais, je retrouvais mes chaussures sur la berge, les enfilai et me dirigeai vers le pensionnat, désireux de trouver du confort.
Alors que je m'apprêtais à perdre le lac de vue, je me retournais une dernière fois. Avec un sourire, je dis à voix haute :

-Ravi de t'avoir rencontré, jeune demoiselle...