Il était encore tôt lorsque Lie décida d'aller rejoindre son dortoir. Elle s'était baladée dans le pensionnat, curieuse de tout, dans l'espoir de croiser des personnes intéressantes. Et elle en avait croisé ! Quel endroit bizarre ! La jeune fille adorait ça, et elle riait discrètement, en arpentant les divers couloirs. Enfin, elle parvint à celui des chambres. C'était un corridor immense, baigné de lumière, au plafond assez haut. Elle était encore perdue dans tout ce luxe, dans toute cette grandeur. Elle parvint finalement à sa porte sur laquelle était écrits son nom et celui d'une autre personne. "Caroline Lecomte". Haussant les épaules, elle pénétra dans la pièce, la porte étant déverrouillée.

C'était grand, bien sûr, et tout aussi beau que le reste du pensionnat. Une armoire, deux lits et deux bureaux, mais l'ensemble était agréable et coquet. A peine avait-elle refermé la porte que la voix de sa colocataire surgit de l'armoire. Une voix pénible et insolente, celle d'une gamine.

"Salut, je suis ta camarade de chambre. Je ne souhaite pas te dire comment je m'appelle si tu es une fille hypocrite qui ne fait que se foutre des gens, quoique, même si tu n'en es pas une ça m'est égal. Maintenant, j'espère que je ne te dérangerai pas."

Lie, habituée aux provocations, se contenta de sourire. Elle alla s'installer sur son lit, sans même prêter attention à l'armoire. A quoi bon: elle n'avait pas de bagages. La petite ne semblait pas avoir remarqué l'écriteau sur la porte.

"Bonjour Caroline." répondit-elle simplement, de sa voix douce et amicale. "Je m'appelle Lie." Elle lui parlait comme à une enfant sur les nerfs, comme à une gamine un peu retardée, mais ça ne se remarquait pas dans sa voix.

Elle regarda par la fenêtre le paysage: il y avait une vue imprenable sur la cour. Elle était grande, assez vide: seules quelques rares personnes, plus ou moins bizarres, s'y reposaient, s'y croisaient et y faisaient connaissance. Quand, enfin, elle l'eut suffisamment admirée, elle reporta son attention sur la petite fille qui écoutait de la musique, comme toute gamine insolente aurait fait. Elle était... petite bien sûr, et très jeune. Elle avait une physionomie de pré-adolescente, mais le visage et l'attitude d'une enfant de primaire. Ses yeux étaient dorées et ses cheveux avaient une étrange teinte rose bonbon. Cela ne l'étonna pas plus que ça: elle avait déjà croisé quelqu'un avec des cheveux bleus, alors roses... Surtout une gamine ! Ça lui allait parfaitement, pensa-t-elle.

"Ça ne me dérange pas de partager ma chambre avec toi, je ne fais pas ma difficile. Cependant, si tu pouvais apprendre les bases de la politesse, je ne t'en voudrai pas."

Elle regarda l'heure. Si miss pink se montrait trop pénible, elle avait largement le temps de retourner dehors. Elle lui adressait des sourires confiants, amicaux, et rien sur son visage ne laissait entendre que ce n'était qu'un masque. Elle rêvait, en réalité, d'inculquer les bonnes manières à une enfant telle que Caroline l'était.

Plus les secondes passaient, plus Caroline prouvait par chacun de ses gestes qu'elle était une gamine ne connaissant rien au monde. A peine Lie lui avait-elle fait une remarque légèrement désagréable qu'elle se relevait, presque choquée, qu'on puisse s'adresser comme ça à une enfant. Elle resta quelques secondes sans rien dire, silence auquel la jeune femme répondait par un sourire calme, avant de rétorquer:

"Je connais les bases de la politesse, mais d'abord, si tu veux m’appeler par mon prénom, appelle-moi Caro, mon prénom est horrible. Tu veux que je te prête des vêtements ?"

Ces mots la surprirent et elle se mit à rire, un rire joyeux qui n'avait rien de moqueur ni de désagréable. Caroline s'était levée de son lit, et en avait sorti des vêtements. Essuyant ses quelques larmes, Lie les regarda avec bonheur.

"Tiens, mais je ne suis pas sure qu'ils t'iront, et puis après tout, t'es pas obligée d'accepter."

Elle se leva à son tour de son matelas confortable et posa amicalement sa main sur la tête rose de la jeune fille. Elle dit, souriante, avec bonne humeur:

"C'est gentil Caro', je suis touchée, mais... Nous ne faisons pas vraiment la même taille. Tu n'as pas à t'en faire, va ! Mes vêtements me conviennent très bien !"

Elle jeta un coup d’œil dans l'armoire qui était loin d'être vide. Elle prit les vêtements et les rangea au hasard puis referma le meuble. Elle ne cessait jamais de sourire, un sourire heureux, calme et amical. Cette gamine était maladroite, c'était certain. Mais elle n'avait pas un mauvais fond, au final.

Non seulement la jeune fille était maladroite, mais elle était aussi instable, se contredisant constamment. Elle rangea son engin électronique (Car oui enfin ! Qu'est-ce qu'un Ipod ? Lie n'en avait aucune idée), monta sur son lit, sortit un livre, l'ouvrit, le referma comme si elle n'arrivait pas à se décider. Finalement, elle avoua l'origine de sa contrariété:

"Tu viens d'où ? Tu n'as pas l'air d'ici, ta peau est trop blanche, et tu n'as pas les yeux bridés. Et puis, si tu veux, vu qu'apparemment tu n'as pas beaucoup de vêtements, on pourra aller faire les boutiques !"

Secouée par ses mots, Lie rougit sans savoir quoi répondre. Elle regardait le sol, souriant toujours, mais de ce genre de sourire triste qui remue et qui émeut. Elle entendit Caroline ajouter dans un petit reniflement:

"Ne réponds pas si ça te gêne !"

Voyant que l'expression de la petite fille se faisait moins sincère, Lie alla s'asseoir sur le lit de celle-ci et posa son coude sur sa tête. Son regard se perdit sur le mur blanc, mais elle répondit avec douceur:

"Je ne viens pas du Japon, en effet. Je suis danoise. Au passage, tu n'as pas l'air d'être d'ici non plus."

Puis, elle ajouta, les joues rouges de honte:

"J'ai bien peur que je ne puisse t'accompagner faire du shopping. Mais tu trouveras sans doute des amies qui pourront t'accompagner... Des amies de ton âge."

Elle continuait de sourire, à son aise comme à son habitude avec les personnes qu'elle venait tout juste de rencontrer.

Au fur et à mesure de leur conversation, Caroline semblait se détendre, se mettre à l'aise. Le soleil effleurait de ses rayons le parquet en bois, attribuant à la chambre une impression rassurante, une impression de "chez-soi".

"Oui, je suis française. Mais bon, je n'y suis pas restée longtemps... seulement un ou deux ans, mes parents voyagent tellement que je ne suis jamais restée aux mêmes endroit, donc si tu le veux bien ne nous éternisons pas sur ce sujet." dit-elle.

Lie lui répondit d'un air rêveur:

"Je trouve que tu as beaucoup de chance... J'adorerais voyager, découvrir le monde... J'aurais aimé que tu me racontes, mais soit. Si c'est ce que tu veux, nous n'en parlerons pas."

"Et puis, ça va être dur de me trouver des copines de mon âge, les gens me rejettent souvent car ils se font très vite des préjugés. Au fait, ne t'étonne pas si je change très vite d'humeur, d'après mes parents je suis très lunatique."

"C'est vrai que tu es très sèche aux premiers abords. Tu es instable, c'est assez difficile de t'apprécier tout de suite, d'autant plus que tu parais impolie quand on ne te connait pas. Tu devrais essayer de te détendre comme tu le fais là."

Et, comme pour illustrer ses mots, Lie s'étira et se laisse tomber sur le lit de sa colocataire. Puis elle fut soudainement frappée par la curiosité. Elle lui demanda, faisant attention à ses mots:

"Ce pensionnat est plein de gens aux pouvoirs sensationnels... Tu dois en avoir un aussi, non ?"

Elle lui souriait toujours, ne la quittant pas du regard.

Lie contemplait d'un regard satisfait Caroline s'allonger à son tour, les yeux fermés. Elle regrettait presque d'avoir posé cette question quand elle la vit l'observer avec intensité, comme si elle la jugeait. Lie ne dit rien, attendit simplement. Enfin, comme elle semblait n'avoir rien trouvé d'anormal, l'enfant répondit:

"Humm, non je n'ai pas de pouvoirs, mais qu'est-ce que tu entends par là ? Personne n'a de pouvoirs non ? Même pas ceux qui se prétendent magiciens, mais ne font que des tours de passe-passe... Tu crois à ça ?"

Lie resta songeuse quelques secondes. Elle ne connaissait pas de "magiciens", mais il lui sembla qu'ils ne n’agissaient que d'imposteurs. Mais... Elle ne comprenait pas. Si Caroline ne croyait pas en la magie, que faisait-elle ici ? Que faisait-elle dans un pensionnat, entourée de personnes dangereuses ? N'avait-elle donc aucune idée du lieu où elle se trouvait ? Elle ne répondit à sa question qu'en en posant une autre:

"Pourquoi es-tu venue dans ce pensionnat ?" demanda-t-elle.

Si Caroline n'avait aucune idée des dangers qu'elle courait, Lie devait la prévenir... Mais si elle n'y croyait pas ? Si elle s'enfuyait en hurlant en apprenant que Lie avait des dons ? Elle ne savait pas quoi faire, ayant à moitié envie de lui prouver l'existence de la magie, à moitié envie de lui cacher tout ce qu'il y avait d'anormal ici.

"Tu es sure de n'avoir aucune capacité ? Rien ?"

Elle hésitait à parler, fixant Caroline de ses yeux brillant et curieux, mais ayant peine à sourire tant son esprit était confus.

Caroline s'était redressée vivement, perdant à nouveau le calme qu'elle avait enfin réussi à avoir.

"Si je suis venue ici, c'est parce que mes parents voyaient bien que je n'arrivais pas à me faire à leur train de vie, et puis je pense aussi qu'ils en avaient marre de me trimbaler de partout."

Encore une incertitude, amenant son lot de questions dans l'esprit de Lie. Ses parents l'avait envoyé dans un pensionnat pour êtres magiques alors qu'elle n'était une banale humaine ? La question était... Les parents savaient-ils cela ? L'avaient-ils mise dans cette école en sachant qu'elle y serait en danger, ou n'étaient-ils qu'une bande d'ignorants ? C'était impossible à savoir mais dans tous les cas, elle était désolée pour Caroline. Mais, d'un côté, c'était une chance pour la petite fille ! Vivre dans un endroit aussi extraordinaire n'était pas à la portée de tout le monde !

"Si je te dis que je n'ai aucune capacité, j'en suis sure ! Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?"

Pendant que Lie réfléchissait, Caroline s'affolait sans savoir précisément pourquoi. Elle lui adressa un regard rassurant, souriant calmement, mais c'était inutile: la jeune fille psychotait et ne parvenait pas à retrouver son calme.

"Pourquoi ? Il y a un problème ?"

Voila qu'elle avait même peur. Lie soupira, elle posa sa main sur la tête de Caroline pour essayer une dernière fois de la calmer.

"Ce n'est pas un pensionnat normal. Ici, ce ne sont pas des magiciens, c'est de la vraie, de la belle magie. Ici... Tu feras de belles rencontres. Certaines seront peut-être... dangereuses mais ne t'inquiètes pas. Ils ne t'attaqueront pas sans raison, car il y a un règlement."

Puis, voyant que le seul moyen de la convaincre était de lui montrer un exemple, Lie se leva du lit et s'écarta d'elle - au cas où elle réagirait mal. Elle ouvrit ses mains comme un nid, et un oiseau y apparut. Le petit animal leva sa tête, et s'envola au plafond en piaillant avec bonheur. Dans un battement d'ailes, il s'approcha de Caroline et se posa sur son épaule. Un instant plus tard, il disparut comme s'il n'avait jamais existé.

"Voila..." dit Lie d'un air gêné.

A sa grande surprise, Caroline n'avait pas du tout l'air apeurée face à la magie: au contraire, elle lui prit les mains d'un regard émerveillé d'enfant. Finalement, elle retourna s'asseoir en lui souriant amicalement, sourire que Lie lui rendit en retournant près du lit.

"C'est trop bien ce que tu fais ! Maintenant que tu m'as dis-ça, j'hésite à te dire un secret. Je ne l'ai jamais dit à personne, parce que j'ai vraiment peur de leur réaction. D'abord, je ne sais pas vraiment comment faire avec les gens parce que je n'ai jamais eu d'amis, mais ensuite, je ne sais pas... tu es plus âgée que moi et tu pourrais te moquer... mais ce n'est peut-être pas sûre, étant donné que tu fais de la magie..."

Lie ne voyait pas ce que la magie faisait là dedans, mais elle répondit tout de même.

"Tu te débrouilles plutôt bien ! Je ne suis pas très aimée non plus, et n'ai pas une très longue liste d'amis... En fait, elle est vide, mais..."

Elle toussa de manière humoristique et lui sourit:

"Tu peux parler sans crainte !"

Caroline était nerveuse, et ça se voyait, mais elle parla tout de même.

"Depuis que j'ai environ 5 ans, je ne supporte plus que mes parents voyagent sans cesse, et vers mes 6 ans, j'ai découvert que mon père, mais c'est par pur hasard hein ! Donc, j'ai découvert qu'il appelait souvent des prostituées à la maison... Et depuis, je ne peux plus supporter de voir un mec, car mon père à tromper ma mère ! Tu comprends, découvrir ça à l'âge de 6 ans..."

Lie comprenait que le sujet, pour une enfant de son âge, était gênant à aborder, c'est pourquoi elle ne rit pas. Encore une fois, elle caressa les mèches roses de Caroline dans un geste rassurant.

"C'est compréhensible. Mais tu dois savoir que tous les hommes ne sont pas comme ça... Ton père était une enflure, voila tout."

Elle lui sourit, avant de perdre à nouveau son regard dans le vide.

"Tu es encore jeune, mais il viendra un jour où tu croiseras un homme, un chevalier sur un beau cheval blanc. Je te souhaite qu'il soit différent de ton père. Mais l'amour... Peut-être es-tu encore trop jeune ? Bah... Je sais que tu vas haïr cette phrase, mais: tu comprendras quand tu seras grande..."

Un chevalier sur un destrier blanc, hein ? Lie pensait à ses défunts parents. Elle ne sait pas comment elle aurait réagi à la place de Caroline, mais elle était fière de ses origines. Ils n'étaient que des souvenirs vagues, mais elle pouvait se remémorer son père, grand et bien bâti, mais courbé par son dur labeur, et sa mère, fragile mais souriante, toujours prête à rendre service. Elle les aimait sans qu'ils aient besoin de dépenser beaucoup pour elle. En y réfléchissant, Lie était l'exact opposé de sa colocataire. Elle était perdue dans ses songes lorsque Caroline, s'étant levée entre temps, lui demanda:

"Tu veux faire quelque chose Lie ?"

Cette dernière fut surprise, et souriante, elle répondit presque immédiatement:

"Oui, pourquoi pas !"

Mais en réalité, elle n'avait aucune idée de quoi faire. Aller marcher en ville ? Aller contempler les paysages ? Le cœur de Lie fit un bond à cette idée. Oui, cela lui plairait énormément.

"Allons nous balader ! Il doit y avoir des endroits fantastiques à visiter ici !"

Qui sait... Une forêt, une place dans une petite ville coquette, un lac... Tant de choses magnifiques qui ne réclamaient que de se faire voir. Alors qu'elle réfléchissait, elle se souvint d'un détail... D'une carte, sur laquelle elle avait trouvé l'emplacement du pensionnat... Elle sursauta et se rua sur la jeune fille.

"Caro' ! Il faut que je vois la mer !"

Tant de fois elle en avait entendu parler... Sans avoir l'occasion d'aller la voir. Ses yeux brillaient tant elle le voulait.