Y a des jours où tu peux te demander ce que t'étais, dans une vie antérieure. J'entends par là qu'on peut se demander pourquoi notre karma es si négatif, pour que le destin s'acharne sur nous à ce point.
J'ai du être un sacré enfoiré, ça fait pas de doutes. Pour me retrouver affublé d'un don de merde comme le mien, j'ai au moins organisé deux génocides. Au moins.
Y en a sûrement qui me diront que je devrais pas me plaindre, que j'ai une capacité hors-norme et que c'est génial. A ceux là, je leur dirai qu'ils ne peuvent pas comprendre ce que c'est de ressentir les émotions des autres. Passer une heure en salle d'anglais à côté d'un dépressif suicidaire, c'était bien plus que je ne pouvais en supporter...
Je m'étais éclipsé à l'interclasse. Seulement le temps d'arriver jusqu'à l'infirmerie, et j'avais tout dégobillé devant la porte. Le gout de la bile m'emplissait la bouche, et j'ai fini par perdre connaissance.
Pour finalement me réveiller dans l'infirmerie même. Il faisait nuit, et mon ventre criait famine. Sur ma droite, un autre camarade d'infortune dormait profondément, un bandage teinté de sang lui enserrant le visage. Une fois de plus, depuis mon arrivée, je me demandais ce que je foutais dans ce pensionnat.
J'avais quitté l'infirmerie après avoir annoncé à l'infirmière de garde mon départ. Mais au lieu de m'en aller vers ma chambre, je laissais mes pas me guider vers la cour, puis jusqu'à l'extérieur du pensionnat. Je ne voulais pas rester dans ces lieux. Bien sûr, je me savais faible et en mon fort intérieur, je savais bien que dès le lendemain, j'y serais à nouveau. Mais cet escapade nocturne allait sûrement me faire le plus grand bien.
Le silence. Personne. La solitude a été, depuis mon arrivée au Japon, ma seule compagne. Bien sûr, il y avait la prof de musique, croisée le jour de mon arrivée. Mais elle ne compte pas.
Et puis, il y avait eu cette étrange jeune fille albinos, Hotaru... Notre rencontre a été marqué d'une révélation, pour moi : malgré mon état, j'étais encore capable d'être heureux grâce à des plaisirs simples... Ce que je n'avais pas ressenti depuis des années.
J'avais eu beau la chercher pendant des jours, jamais je n'avais recroisé la demoiselle, et cela m'avait profondément attristé, me rendant plus lunatique encore qu'à l'accoutumée.
Je sentis le contact lisse du sable sous mes pieds : la plage. Je levais les yeux pour regarder l'océan. Je n'aime pas l'eau. Je n'aime pas la mer. Mais l'endroit était désert, aussi n'allais-je pas m'embêter à chercher un autre endroit pour m'isoler.
Et puis, les nuages gris qui commençaient à s’amonceler au dessus de ma tête annonçaient un temps gris et lourd, comme je les aime. J'aurais été bête de ne pas m'en profiter.
Après m'être assis sur le sable, j'avais peu à peu senti la torpeur m'envahir... J'avais posé ma joue sur mes genoux, en position fœtale, et je m'étais endormi...
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Le bruit du vent. Quelques grains de sable qui roulent le long de mon pied. Un réveil doux, qui me permet de sortir du sommeil sans être brusqué.
Mon observation d'hier s'avère juste : l'orage approche. Je mettrais même ma main à couper qu'il va pleuvoir. J'ai du flair, pour ces choses là.
Je me relève et commence à marcher lentement le long de l'eau. Je suis apaisé et seul. Personne pour troubler ma quiétude...
Je jette un coup d'oeil à mon reflet, dans l'eau. J'ai l'air malade, comme à mon habitude. Mon jean et ma chemise noire sont couverts de sable, mes cheveux sont ébouriffés. J'ai pas une tête à avoir dormi dans un bon lit douillet, c'est certain...
Un bourdonnement caractéristique monte dans mon crâne : j'approche d'une personne. Deux choix s'offrent à moi : rebrousser chemin, ou retenir mon empathie et faire comme si de rien n'était. Deuxième solution : il faut que j'apprenne à maîtriser ce "don" qui me pourrit la vie, si je veux un jour espérer pouvoir vivre correctement.
Le bourdonnement s'atténue, mais reste toujours là. J'aperçois le type, immobile face à la mer. Il se retourne à mon approche et me dévoile son faciès atypique : des cheveux gris, des yeux vairons et une balafre sur la partie droite du visage. Charmant.
Je détourne les yeux : ne jamais fixer les gens, ils pourraient croire que vous vous intéressez à eux... Le meilleur moyen pour...
Hello !Et merde, exactement ce que je redoutais...
L'adolescent me fait un grand signe pour que je le vois et commence à s'approcher. Putain, encore un de ces foutus tarés du pensionnat, j'en suis à peu près sûr... Il voit que ma tête affiche un message du genre : "foutez-moi la paix, je vous méprise" ?
Je m’appelle Lorgan von Raukov, et toi ?Cool, l'ami, ça m'fait une belle jambe. Sérieusement, va falloir m'expliquer cette coutume qu'ont les gens, ici, de te dire leur nom quand ils te rencontrent. J'lui ai rien demandé, moi, à ce type !
Et bien sûr, il va falloir que je lui réponde, normal...
Quoi que je peux aussi bien l'ignorer et passer mon chemin...
Dilemme.
-Lewis.Je remarque seulement alors la main tendue. Je l'ignore superbement, il y a des limites à pas franchir, quand même.
De plus, je pense que ma réponse lui a clairement montré mon dédain. Peut-être qu'il va me lâcher, qui sait ?
Quoi qu'on est jamais à l'abri de rien, avec ces tarés du pensionnat. Je suis maintenant certains que c'est un élève, je l'ai déjà croisé une ou deux fois dans les couloirs. Jamais eu l'occasion de le saluer, et jamais eu l'envie non plus. J'me souviens qu'il m'avait fait l'impression d'un pile humaine, toujours hyperactive.
Exactement le profil de personne que je déteste en gros.
Je détourne le regard et recommence à marcher.
Mais vous vous souvenez de ce destin, cité plus haut ? Le revoilà pour pourrir ma matinée : mon pied se pose sur un bout de verre pointu. Surpris, je lève la jambe en poussant un cri, et ma vautre en avant, dans le sable.
Deux génocides. Et j'ai dû créer la bombe atomique, aussi...