Je n'ai jamais été quelqu'un d'extraordinaire. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours vécu dans le maquis, dans un petit village niché au cœur de la montagne corse, où la moyenne d'âge avoisinait les 65 ans. Il n'y avait que huit enfants au village, tous plus vieux que mois d'au moins 4 ans. Alors, quand on est le petit dernier, difficile de s'intégrer dans un bande où tous les rôles sont déjà répartis. Surtout lorsqu'on est quasiment muet, qu'on a toujours la tête dans les nuages, et qu'on préfère la compagnie des arbres et des animaux, à celle des humains.

Alors, mon enfance, je l'ai passée seul, ou presque. Ma mère me faisait la classe, ainsi qu'à tous les autres enfants du village. Mais j'étais loin d'être bon élève... Je m'asseyais toujours près de la même fenêtre, scrutant toujours l'horizon à la recherche de quelque merveille que ma terre aurait à m'offrir. Cela désespérait mes parents, qui eussent préféré, sans doute, que je joue au gendarmes et au voleur avec les autres plutôt que de "perdre mon temps" à observer les nuages pendant des heures. "Cet enfant finira sauvage, déjà qu'il parle plus aux bêtes qu'aux hommes..."

J'ai entendu cette phrase tellement de fois, que j'ai fini par croire qu'il était possible de parler aux animaux. Alors, je passais le plus clair de mon temps dans la forêt d'eucalyptus avoisinante, à tenter de communiquer avec eux. Au début, je n'en voyais aucun, car la plupart des animaux ont peur des humains (et pour cause...), mais petit à petit, ils commencèrent à s'habituer à moi. Nous ne communiquions pas comme pourraient le faire deux hommes, mais je savais au plus profond de moi que ces bêtes avaient autant de respect pour moi que j'en avais pour elles et leur habitat, qui devint très vite une seconde maison pour moi.

Lorsque j'ai eu 7 ans, et que j'ai compris que la viande que je mangeais était en fait des animaux que mon père avait chassés (pratique au combien courante en Corse), j'ai décidé de ne plus en manger du tout, et je fis promettre à mon père de ne plus chasser, au moins dans les alentours. J'essayai aussi de lui demander de ne plus tuer d'animaux du tout, car cela faisait souffrir ces bêtes juste pour le plaisir de l'homme, et l'équilibre de la nature en était affecté. Il m'a ri au nez....

Ainsi, mon père chasseur, me considérait comme une anomalie de la nature. "Quel corse refuserait de chasser et pire, de manger de la viande ?!" Mais ma mère, elle, voyait en moi toute ma sensibilité, et mon intelligence, qui ne se manifestait certes pas en classe, mais dans la vie de tous les jours. Elle comprit bien vite à quel point j'étais attaché à la nature, et particulièrement à la vieille forêt d'eucalyptus. Aussi, elle m'y accompagna plusieurs fois, et finit même par m'y construire une petite cabane (avec l'aide de mon père qui n'approuvait pas du tout... "C'est fini, on ne le verra plus ce gosse, on aurait dû l'appeler Tarzan !).

Mon père avait raison. Je ne rentrai plus à la maison que pour dormir, me laver, et aller en classe. Le reste de mon temps, je le passais à explorer, toujours plus loin toujours plus haut, les montagnes alentours. Cela dura jusqu'à mes 14 ans, ou, toujours poussé par ma mère, mon père amena un lit dans ma cabane, afin que je puisse y dormir, au moins pendant les nuit d'été. Bien sûr, dès que l'été fut fini, je continuais tout de même à y dormir, tout en faisant croire à mes parents que je dormais bien au chaud dans leur maison. J'attendais qu'ils se couchent tous les deux, je rejoignais ma cabane, où je ne dormais guère longtemps, puis je me levais avant l'aube afin de rejoindre mon lit avant le réveil de mes parents.

Une nuit, alors que j'observais la lune une énième fois, elle se mit à briller particulièrement fort. Puis, je me rendis compte qu'elle changeait de couleur, passant du rouge au bleu, du vert au jaune... avant de reprendre sa couleur normale. Absolument émerveillé par ce spectacle, je m'endormis à la belle étoile sur un rocher où je m'étais calé.

Le lendemain alors que je me réveillai avant l'aube pour rejoindre ma maison, je découvris tout un tas de nouvelles sensations. Sans qu'aucun de mes sens ne soit vraiment actif, je me rendis compte que je sentais la forêt, comme si elle était une extension de ma propre personne. En plus de cela, je découvris bien vite que des choses étranges se passaient. Les animaux étaient beaucoup plus proches encore qu'avant. J'avais l'impression de sentir les arbres respirer. Je me rendis compte que j'avais reçu un don au moment où une pierre dévala la montagne en direction d'un terrier de renard. Sans que je ne sache comment, et pourtant je savais que c'était moi, je déviai la roche d'un geste violent de la main, roche qui alla s'écraser en contrebas quelques dizaines de mètres plus loin.

Fort de cette magnifique sensation, je décidai de cultiver ce don. Je m’aperçus vite en quoi il consistait. Moi qui avait toujours été proche de la Terre et de la Nature, on m'avait donné le pouvoir de les contrôler tous les deux. Et bien que mes talents fussent très peu développés, je m'en servis pour aider mon environnement du mieux que je pouvais.

Je me gardai évidemment d'en parler avec mes parents, qui m'auraient sans doute pris pour un fou, déjà que mon père pensait que j'étais "taré"... Alors, je tentais d'améliorer mon don autant que je le pouvais, si bien qu'en quelques mois, et à force d'entrainements fatigants, j'arrivais à faire flotter une pierre dans les airs, comme si elle était une extension de moi, comme un membre de mon corps qui n'y serait pas relié. J'arrivais aussi à faire éclore des fleurs à une beaucoup plus grande vitesse que ce qu'elle n'auraient dû, mais je n'utilisais pas ce don, car il raccourcissait la durée de vie de la plante. Alors, je me mis à réfléchir à un moyen de prolonger la durée de vie des plantes, à les rendre plus résistantes, et bien que je n'y sois jamais arrivé, je m'entrainais durement, et je m'endormais souvent épuisé, me levant au dernier moment pour rejoindre mon lit pour quelques heures avant de revenir ici m'entrainer...

Lorsque je me suis réveillé ce matin là, le soleil était déjà haut dans le ciel. Cependant, une odeur étrange flottait dans les airs, une odeur de brulé, dont je me souviendrais toute ma vie. Lorsque j'arrivais au village, je découvris ma maison en train de brûler, et mon père qui s’époumonait en nous appelant ma mère et moi.

Je ne me souviens plus très bien de ce qui s'est passé après. Tout ce que je sais, c'est que ma mère est morte dans cet incendie, et que mon père, quelques jours après son enterrement, s'est jeté d'une falaise. J'étais encore un enfant, et bien que je n'arrêtais pas de répéter au juge que je pouvais vivre seul, il refusa de laisser un mineur aussi jeune vivre seul, "surtout dans une cabane au fond des bois !" Ainsi, je fus envoyé, chez une tante, qui était une femme d'affaire de renommée mondiale basée au Japon. Cependant, n'ayant jamais eu la fibre maternelle, elle décida de m'envoyer dans un pensionnat. Et c'est ainsi qu'une fois mon inscription réglée, elle me déposa devant ce qui serait désormais ma maison. Je me retrouvai encore plus seul qu'avant, loin de mon île, loin de ma forêt, loin de ma cabane, mais avec la ferme intention d'arriver à contrôler totalement mon don, et de rentrer chez moi le plus vite possible !