Le jour se levait sur le pensionnat Tsuruko, la première nuit que Fusanoshin passait dans son appartement. Il pensait à son cours, ce qu’il allait enseigner à ces élèves. Le kendo bien sûr, mais quoi exactement ? Il avait pris le soin la veille de se procurer une centaine de bâtons en bambou, connu pour sa résistance pour que ses élèves puissent utiliser quelque chose d’inoffensif pour ne pas blesser son opposant. Certes il avait le matériel, mais il n’avait pas encore la méthode de cours en tête, c’est pourquoi il devait la trouver avant la sonnerie du premier cours. Il avait mis son réveil sur environ une heure avant le début et n’eut pas trop de mal à se réveiller à une heure aussi matinale. Le Shikigami était content car il n’avait pas dû se battre pour sortir du Drive qui ne cessait de l’aspirer ces derniers jours, il trouvait même ça étrange, comme si le fait d’entrer dans ce pensionnat ralentissait la fréquence de ces dématérialisations intempestives. Il devait y avoir un Toujinshi potentiel ici, c’était plus qu’évident.

Fusanoshin se dirigea vers la salle des profs pour faire connaissance avec ses collègues précédemment rencontrés pour leur poser ses questions ou tout simplement pour profiter de leur présence pour papoter un peu. Ils n’étaient certes pas nombreux mais bien présents. La veille il aurait juré que le pensionnat était désert, mais les élèves étaient en cours, ce qui expliquait le calme. Une tasse de chocolat chaud en main, il racontait un peu son histoire, comment il était en train de se balader quand il a vu la lune changer de couleur, ce qui avait détraqué son Drive qui l’aspirait tout le temps en attendant de trouver un Toujinshi de remplacement. Eux aussi racontaient ce qui leur était arrivé avec cette lune aux effets aussi mystérieux que problématiques pour certains. Leur aventure était vraiment passionnant mais la sienne aussi, surtout qu’ils n’avaient jamais vu ce genre de personne avant et cherchaient à en savoir plus sur ses origines. Après quelques tasses, l’heure H approchait à grands pas, l’heure de son premier cours dans le pensionnat, et dans sa vie. Il leur demanda au passage dans quelle classe il devait aller, lesquels lui répondirent qu’il n’y avait qu’une seule salle de classe par type de cours, un laboratoire pour les cours de science, un terrain pour celui de gym, et quelques autres. Il ne savait pas vraiment dans laquelle aller, mais il finit par avoir une idée : la salle de gym ! Il y avait de l’espace suffisant pour pouvoir se mouvoir à son aise sans risquer de heurter un mur ou un autre élève, la salle idéale.

Dans quelques minutes la sonnerie allait retentir, il fallait rejoindre le gymnase avant qu’il ne soit trop tard. Fusanoshin finit sa tasse, salua ses collègues et se dirigea vers le lieu de son cours, sans se presser ni prendre son temps non plus. Il devait encore préparer la salle et ses affaires, pas le genre de chose qui se fait en cinq minutes, plutôt en dix. Une fois ses affaires prises dans son appartement, il alla dans le bureau annexe pour tout déposer sans encombrer le gymnase et où on rangeait de toute façon le matériel. Il respira un bon coup, se redit dans sa tête le planning de son cours et déballa tout ce dont il avait besoin pour le début, à savoir les tiges de bambou.

Voilà, tout est enfin prêt, je vais pouvoir me lancer ! D’ici cinq minutes les élèves vont venir, mais ils ne recevront pas un cours de gym comme ils ont l’habitude car je vais leur apprendre à manier une épée, faisant d’eux d’excellents combattants. Avec ça ils pourront utiliser n’importe quelle arme longue et tranchante pour se défendre, la polyvalence même !

Fusanoshin entendit alors la sonnerie retentir, il avait pris soin de laisser son Drive dans le bureau pour ne pas se faire aspirer en plein cours, c’était quand même le pire cas de figure envisageable. Il s’assit ensuite par terre au milieu du gymnase d’un air patient et plein d’assurance. Le cours venait de commencer…

Je n'avais encore assisté à aucun cours au pensionnat : le cours de sport serait le premier. C'était une discipline que j'appréciais particulièrement, surtout quand le professeur avait de l'humour. Cela venait sans doute du fait que le sport était quelque chose de concret, et pas d'abstrait comme certains cours de mathématiques. Et puis, le sport me faisait oublier la routine de ma vie de lycéen.

Je pris mon petit déjeuner en silence, sans prêter attention aux bavardages des autres élèves. Pourquoi être si bruyant dès le matin ? Etait-ce trop leur demander de ne pas parler si fort à ce moment de la journée ? Je l'étais autant qu'eux pendant le déjeuner, mais sûrement pas le matin. Je retournai au dortoir, le regard brumeux, manquant de me cogner dans plusieurs personnes au détour d'un couloir. Ils s'écartèrent en pestant, mais me laissèrent tout de même passer. Ce n'est qu'après m'être lavé les dents et avoir remis en place ma tignasse blonde que je me réveillai tout à fait.

Un coup d'oeil à ma montre m'appris qu'il me restait cinq minutes avant le début du cours. Je me précipitai dans le couloir, avant de faire demi tour, dérapant à moitié sur le carrelage. J'avais sport, il fallait donc porter des vêtements adaptés ! J'enfilai en vitesse un short et un t-shirt, mis des basket, et retournai dans le couloir. Où était la salle de sport ? C'était un point important auquel je n'avais pas réfléchi. Jurant intérieurement contre mon manque de prévoyance, je cherchai un élève à qui demander mon chemin. Je le trouvai rapidement. Le gymnase n'était pas très loin, m'apprit-il, je n'aurais pas de mal à le trouver. Il m'indiqua précisément son emplacement, et s'éloigna pour se rendre en cours de français.

Effectivement, je n'eus pas de mal à trouver le gymnase. Il n'avait rien de particulier, si ce n'est "l'homme" qui se tenait au milieu de la pièce. La première chose qui me vint à l'esprit en le voyant fut "Un piaf prof ?". L'oiseau semblait un peu anxieux, sûrement parce qu'aucun élève n'était encore arrivé. Il était de grande taille, aussi grand qu'un humain, mais ressemblait à un faucon. Ses vêtements étaient un peu étranges, mais après avoir vu le personnage, je ne m'en étonnais pas.
Mon professeur n'était pas humain. J'aurais du m'en douter, mais l'idée me surprenait quand même.
Je refermai ma bouche, qui s'était ouverte de surprise sans que je le remarque, afin de ne pas paraître impoli. Visiblement, j'avais mis mes chaussures pour rien. Je les enlevai rapidement et avançai sur le sol moelleux en direction du professeur.

« Bonjour, dis-je. »

Des bâtons étaient posés par terre, près de l'improbable homme-oiseau. Qu'allait-il nous faire faire avec ? Enfin, me faire faire, car j'étais pour l'instant le seul élève présent...

Un autre élève entra dans la salle quelques secondes après moi. L'homme-oiseau eut l'air soulagé que je ne sois pas le seul élève présent. Je vis pourtant son visage s'assombrir en voyant le nouveau venu. Celui-ci s'installa près de moi sur le tatami, sans un mot, après avoir donné un papier au professeur - qui le chiffonna après l'avoir vaguement regardé et le lança dans un panier de basket. Que pouvait-il y avoir écrit dessus ? Je n’en avais aucune idée.

Mon voisin était aussi grand que moi, mais était brun avec des yeux d'un bleu profond. Ses écouteurs vissés dans ses oreilles diffusaient une musique dont je n’entendais que le rythme. Qu'il ne les enlève pas en cours, surtout en cours de sport, me surprenait. Il risquait de les abîmer... Je haussai les épaules. Ce n'était pas mon problème, après tout ! Je l'observai à la dérobée pendant que le prof l'enguirlandait. Il portait un t-shirt Batman et un jogging noir, et sa tignasse rebelle le désignait comme le genre d'élève que les professeurs n’apprécient pas beaucoup et qualifiaient de difficile. Les écouteurs n’étaient pas autorisés en cours de sport, et même ce qui avait l’air d’être une dispense ne fit pas changer d'avis ce drôle d'oiseau.

L’étrange professeur nous proposa de déposer les objets fragiles dans une boîte, et je m’exécutai immédiatement, étouffant un bâillement. Retrouver mon portable en mille morceaux après un cours de sport : très peu pour moi ! Je laissai tomber l’objet dans la boîte à contrecœur : je n’aimais pas m’en séparer. Je plaçai mon iPod et mes écouteurs près de lui, et retournai m’assoir en tailleur à ma place, en face de l’homme-oiseau. Celui-ci se leva et fit rouler un tableau noir jusqu’à nous. Il commença à se présenter, tout en écrivant quelques mots importants à l’aide d’une craie blanche.

« Pour commencer je me nomme Ikazuchi no Fusanoshin, mais vous pouvez m'appeler "Monsieur Ikazuchi". »

Je le regardai avec des yeux ronds. Ika… Quoi ? « Monsieur Ikazuchi » serait beaucoup plus facile à retenir. Ikazuchi expliqua alors qu’il était un esprit japonais, un Shikigami, et qu’il appartenait à un « Toujinshi ». Ah, le japon et ses mots étranges... Il continua sa présentation, nous annonçant qu’il avait plus de mille cinq cent ans et qu’il était invincible, comme si c'était la plus normale des choses.

Avoir un homme-oiseau-esprit invincible, probablement immortel, comme prof de sport… C’est fait ! Songeai-je.

Depuis que j’avais découvert mon pouvoir, j’avais l’impression d’être l’objet d’une blague de très mauvais goût. Mais avoir un professeur si particulier était plutôt amusant. J’espérais que son cours le serait autant…
Ikazuchi nous demanda de nous présenter, de parler de notre pouvoir, de notre arrivée au pensionnat. Révéler la nature de mon pouvoir ne m’enchantait guère, c’était quelque chose dont je n’aimais pas vraiment parler et qui me mettait mal à l’aise. Le professeur termina par « C'est pas super folichon comme cours de kendo, mais ça m'évitera de vous appeller "le blondinet" et "le mélomane impoli". ». « Super folichon ». Personne ne disait ça… Les mille cinq cent ans se faisaient sentir ! J’étouffai un petit rire en entendant le surnom de mon voisin, en le transformant en une quinte de toux. Au moins, ce prof avait un minimum d’humour !

« Bonjour ! Moi c’est Leif Sørensen, je viens d’Oslo en Norvège, commençai-je sans laisser le temps à l’autre élève de se présenter. Je suis arrivé il y a quelques jours, et c’est mon premier cours à Tsuruko. Voilà !

C’était rapide, mais mieux que rien. Le professeur devrait s’en contenter…

Je me tournai vers mon voisin afin d’écouter ce qu’il avait à dire. J’étais curieux de connaître son pouvoir. Enfin, s’il en parlait. Je n’avais pas mentionné le mien, mais il pouvait très bien le faire, lui. J'avais également hâte de voir de quoi était capable le Shikigami. Après tout, il avait eu le temps d'apprendre énormément de choses et de beaucoup s'entraîner ! Je n'avais pas très bien compris ce qu'était un Shikigami, et j'espérais l'apprendre bientôt.

Mes yeux se dirigèrent d'eux mêmes vers les bâtons posés au sol, un peu plus loin. Dans quel sport avait-on besoin de bâtons ? Et à quoi servaient-ils ? A se taper dessus ? Un petit sourire apparut sur mes lèvres à cette pensée. Si c'était le cas, j'allais bien rigoler !

Alors que je venais de m'assoir en tailleur sur les tatamis, mon voisin se leva et prit la craie blanche. Sa présentation, bien que rapide, fut plus complète que la mienne. J'appris ainsi qu'il se nommait Soul Evans, était japonnais, et avait le même âge que moi. Il écrivit tout au tableau, sans prononcer un mot. Son pouvoir était la maîtrise du son et de la musique, ce qui expliquait sûrement qu'il porte des écouteurs en cours et ne veuille pas les enlever. J'avais remarqué sa réaction lorsque le professeur les lui avait confisqués : il s'était immédiatement recroquevillé sur lui-même, comme s'il avait peur de quelque chose.

Je m'attendais à ce que Soul revienne à côté de moi, mais il s'empara de son mp3 et remit les écouteurs dans ses oreilles. Je grimaçai en entendant ses explications au professeur : il ne pouvait pas vivre sans musique, et avait mal à la tête après seulement quelques minutes passées loin d'elle. A mon avis, cela n'allait pas passer du côté de l'oiseau... Je ne m'étais pas trompé. J'ouvris des yeux grands comme des soucoupes en entendant la suite. Un duel pour récupérer Ipod et écouteurs ? Je n'étais pas sûr que tout cela soit bien légal, mais ça me semblait amusant !

J'avais plusieurs options : rester assis là, sans bouger, ou essayer de participer à ce cours plutôt intéressant. Je pesai rapidement le pour et le contre de chacune d'elles. La balance penchait en faveur de la première, plus sage et moins risquée étant donné que les bâtons de bambou étaient très durs et qu'ils feraient mal si l'on m'en donnait un coup sur la tête, mais je choisis la seconde.

« Excusez moi de vous interrompre, commençai-je sur un ton égal. Je peux être arbitre ? »

Ce cours ne prenait décidément pas une tournure habituelle ! En était-il toujours de même à Tsuruko ? Si tel était le cas, mon séjour ici serait assez étrange, mais tout de même intéressant. Cela changerait de mon ancien établissement scolaire, qui était ennuyeux à mourir. Les professeurs n'avaient aucune imagination et tout était tellement... normal. Les années que j'avais passé là bas me semblaient lointaines, même après quelques jours seulement passés ici. La différence entre ces deux écoles était tellement grande que j'avais du mal à m'imaginer avoir fréquenté des endroits aussi banals que mon collège et mon ancien lycée.

Je me reconcentrai sur le déroulement de la leçon de kendo. Ikazuchi avait empoigné son arme pendant que j'étais perdu dans mes pensées, et le tenait d'une main ferme, mais d'une façon qui me faisait penser qu'il ne savait pas s'en servir. Si même moi, qui n'avais jamais pratiqué ce sport, le remarquai, Soul devait l'avoir vu tout de suite. Le professeur se moquait-il de lui ? Je l'espérais, car dans le cas contraire, le Shikigami aurait passé mille cinq cent ans à s'entraîner pour rien. Et le niveau des professeurs du pensionnat serait déplorable...

Je réprimai un petit sourire en attendant de voir comment allait réagir le jeune homme. J'espérais pour lui qu'il gagnerai le duel et remporterai ses écouteurs et son Ipod. Il avait vraiment semblé étrange toute à l'heure, comme en proie à un véritable malaise. Son pouvoir en était-il la cause ? C'était bien probable Il l'avait dit lui même : il ne pouvait vivre sans musique.

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