L’après midi était superbe. Il faisait grand soleil, pas un nuage n’obscurcissait le ciel. On aurait dit que toutes les forces de la nature s’étaient unies pour offrir, aux promeneurs, la plus merveilleuse des journées. Dans un coin de nature, au fond d’un bois et en amont d’une rivière, se trouvait une cascade. Superbe construction naturelle, se targue d’exhiber sa beauté prétentieuse. Des milliers de litre d’eau claire s’écoulaient en continu, dans une symphonie cristalline apaisante, au milieu des arbres, droits et impassibles.

Andy avait trouvé le coin parfait pour abattre son projet de photographie. Un oiseau s’abreuvant au bord de la rivière, un gros insecte sur une fleur, le débit régulier de la cascade : tout était bon à prendre. Elle était sure que le résultat serait à la hauteur de ses espérances.
Lorsque, enfin, au bout d’une heure et demi, elle eut épuisé tous les sujets possibles et imaginables, elle s’accorda une pause bien méritée. Un rocher au bord de l’eau lui fournissait l’endroit idéal pour se détendre.
La jeune fille ôta ses chaussures : des bottines en cuir bleu, ainsi que ses bas blancs en dentelle. Elle retroussa les bords de sa jupe à tartan et plongea ses pieds dans l’eau.

Lentement, ses yeux se fermèrent. L’ensemble des sonorités naturelles s’amplifiant, alors qu’elle faisait impasse sur son sens principal, dans le même temps, l’ensemble des souvenirs de la veille. Le bruit de la cascade se transforma en pluie alors que ses paupières, fermées, reproduisaient la pénombre de la nuit précédente. Le visage du vampire apparut alors progressivement.
Elle avait songé à cela une bonne partie de la nuit, ne trouvant pas le sommeil. Andy était encore bouleversée des évènements de la veille. Les réponses qu’elle attendait tant n’étaient, hélas, pas apparues. Sleepy était la première personne avec qui elle avait eu une discussion si… puissante. Elle avait été bien bousculée, apeurée, blessée aussi, mais malgré cela, elle ne gardait pas de rancune dans le cœur. Seulement, elle ignorait si une amitié avec un vampire était possible, surtout avec les engagements qui étaient les siens.
Ce n’était pas dans son habitude de se poser ce genre de question. Normalement, elle ne s’attachait pas aux gens de ce genre, mais là, c’était différent. Elle avait envi de l’aider.

Ses yeux s’ouvrirent. Elle laissa échapper un long soupir : cette après midi devait être belle, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de penser à ces choses. Son esprit était encombré de trop d’images parasites pour qu’elle puisse profiter pleinement du cadre. C’en était presque irritant.
Andy tourna la tête, à droite, puis à gauche : personne. Elle sourit.
La jeune fille se mit debout sur son rocher et attrapa les pans de sa jupe afin de les tenir bien hauts. Elle descendit avec précaution, dans le petit lac que formait la cascade, et fit quelques pas. L’eau était fraîche, mais ce n’était pas désagréable : au contraire.
La jeune fille riva ses yeux sur le fond de l’eau : une multitude de petits poissons colorés tourbillonnaient entre ses mollets chétifs. Parfois, ils l’a frôlaient, ce qui lui arrachait parfois des petits rires.
Andy jeta un dernier regard vers le rocher, là ou était posé son appareil photo : protégé de l’eau, sans personne autour, tout allait bien. Elle reprit paisiblement son occupation, l’esprit léger.

Toute l’attention de la jeune fille était focalisée sur un minuscule poisson. Il se détachait des autres par sa belle couleur rouge vif. C’était rare de voir de tels poissons dans une étendue d’eau naturelle… En tout cas, Andy n’en avait jamais vu. Cela lui rappelait un peu le monastère d’où elle venait : dans la vaste cour intérieure, un immense bassin rond contenait aussi ce genre de poissons… sauf qu’ils étaient bien plus gros et plus nombreux. Les japonais raffolaient de ce genre de créatures, les fameuses carpes koi. Ils faisaient même des concours où rivalisaient les plus beaux spécimens, de ce qu’Andy avait entendu dire. Pour les moines, ils représentaient simplement le calme et la sérénité. Depuis son arrivée, elle avait toujours adoré les nourrir. Soudain, la petite créature s’échappa entre les galets, coupant dans le même temps le flot de pensées de la jeune écossaise.
Andy se redressa tout en remontant encore un peu les bords de sa jupe qui prenait l’eau. Heureusement pour elle, celle-ci était teintée : on ne verrait donc pas à travers. Elle n’était pas sure que cela sèche tout à fait avant son retour, alors ça tombait bien. Son regard continua de fouiller l’étendue d’eau, un peu déçue d’avoir perdu son poisson de vue. C’est alors qu’elle entendit de légers craquements, semblables à des pas, derrière elle. Surprise, elle sursauta, juste le nécessaire pour poser le pied sur le mauvais galet : celui-ci était couvert d’algues vertes et glissantes. En un instant, Andy glissa et tomba toute entière dans l’eau.

-Quelle idiote !

Lâcha t’elle, sur le coup. Une chance pour elle qu’il y ait eu peu de profondeur : elle n’était pas entièrement trempée, juste la jupe et le bas de sa chemise. La jeune écossaise tenta de se relever tant bien que mal et retourna sur la berge. Une fois au sec, elle commença à s’essorer, un peu piteusement. Elle pensa tout de suite que c’était une chance que personne ne l’ait vu… Ceci étant, en y repensant, c’était un bruit de pas qui l’avait effrayée. Il y avait donc quelqu’un. Andy soupira, un peu honteuse, avant de dire bien haut :

-Montrez vous !

Elle espérait avoir rêvé… Comme ça, elle pourrait ôter ses habits le temps qu’ils sèchent… Sa chemise était bleu clair, on voyait toutes ses formes à travers : Andy détestait cela. Elle était maigre, se montrer nue ou même, une partie de son corps, avait toujours été désagréable. Quoi qu’il en soit, elle commençait à croire que sa chance l’avait quittée… Depuis son arrivée, elle n’avait eu que des malheurs.

Comme Andy le redoutait, il y avait bien quelqu’un : un jeune homme s’était, à son appel, détaché de la verdure pour avancer vers elle. A première vue, il devait avoir plus ou moins une vingtaine d’années : ce n’était pas bien vieux, et semblait de bonne stature. Ce qui était sur, c’est qu’il n’avait pas l’accoutrement d’un jeune de son âge. Il était, en effet, vêtu d’un costume, un peu débraillé, certes, mais tout de même. Andy supposa qu’il était salarié.
Sans dire un mot, il lui posa sa veste sur les épaules, une attention délicate dans un sens. Son sourire était agréable, il avait tout l’air d’un honnête homme. Andy ne se méfiait pas trop, même si sa rencontre de la veille l’avait secouée : il n’avait rien à voir avec le vampire Sleepy.
Sans plus attendre, il lui expliqua la scène de son point de vue, ce à quoi la jeune fille répondit par un hochement de tête compréhensif.
Elle fit volte face pour pouvoir mieux essorer ses vêtements et fit :

-Ce n’est pas grave. Ce sont des choses qui arrivent…

Heureusement qu’il faisait grand soleil : en un quart d’heure, elle devrait être sèche. Andy jeta un œil vers le ciel avant de continuer.

-Il semblerait que nous ayons eu la même idée.

Son regard atterri sur la végétation autour d’eux. Elle s’y promena en silence pendant quelques instants, avant de rompre le silence à nouveau.

-Hem… Merci pour la veste en tout cas. C’est une délicate attention de votre part.

Andy était toujours polie avec les gens bien élevés. Même si ce n’était pas toujours une grande bavarde, elle n’était jamais avare en remerciements. Elle alla chercher son appareil photo, qui attendait toujours sur le rocher, et vérifia si l’eau ne l’avait pas éclaboussé.
Son regard se posa sur l’inconnu, il n’avait pas l’air gêné de se montrer torse nu. Il fallait dire qu’il n’avait pas à rougir de sa constitution…
Elle fit, de la douce voix qui était la sienne :

-Au fait, je m’appelle Andy.

Quand on vous offre sa veste aussi gentiment, les présentations s’imposent.

L’homme en face d’elle était aimable et souriant. C’était plus qu’il n’en fallait pour mettre Andy en confiance. Elle appréciait de se trouver en compagnie de personnes calmes. Les gens un peu trop « débordants » comme Sleepy avaient toujours eu tendance à l’effrayer. Encore une fois, c’était un trait de caractère qui lui était venu de son ancienne vie : chez les moines. Depuis toujours, Andy considérait la maîtrise de sois et de ses émotions, comme la clé vers une vie plus heureuse. Pour elle, il était important de ne pas se laisser submerger par un flot de sentiments chaotique, sinon, on risquait de perdre son humanité. En ce qui la concernait, la concentration et le calme étaient vitaux : elle devait constamment dominer son trop plein d’énergie, pour ne pas en subir les effets néfastes.
Mais bref, passons. Le jeune homme se présenta sous le nom de Nathaniel et lui tendit la main. La demoiselle la sera tout en répliquant.

-Enchantée.

Après avoir lâché la main de son interlocuteur, elle rangea son appareil photo dans son étui. Ses yeux se déposèrent alors sur le jeune homme et elle demanda, d’un air curieux :

-Nathaniel ? Ca vient d’où ? Ne dites rien…

Elle fit mine de réfléchir un instant.

-A votre accent je dirais que vous êtes anglo-saxon… Anglais ? Américain ? Vous n’avez pas ce roulement typique qu’ont les anglais, alors… américain, j’ai bon ?

Elle fit un petit sourire en attendant la réponse. Andy n’avait rien contre le Japon, mais elle appréciait beaucoup les cultures qui lui étaient familières. Peut être que, si il était bel et bien américain, ils pourraient continuer leur conversation dans leur langue maternelle ? Cette idée lui plu beaucoup. Elle était impatiente.

Andy sourit lorsque le jeune homme confirma son hypothèse. C’était le sourire d’une enfant, heureuse d’avoir résolu une énigme. Ce petit air candide qu’inspire cet âge où tout nous apparaît comme un jeu et où on se réjouit d’un rien.
Nathaniel l’invita ensuite à aller s’asseoir à l’ombre, dans l’idée de discuter un moment. La jeune écossaise acquiesça immédiatement et prit les devant. Elle trouva un vaste chêne, non loin, qui lui sembla parfait. Il était très vieux et étendait sa ramure à plusieurs mètres à la ronde, offrant un ombrage épais et agréable. Sans plus attendre, elle s’assit au pied de l’arbre en attendant que le jeune homme fasse de même.

-J’aime beaucoup les chênes.

Commenta t’elle.

-On trouve beaucoup de ces arbres en écosse, ici, ils me rappellent mon pays. Ils symbolisent la force.

Andy étendit ses jambes de tout leur long sur l’herbe afin de bien aplatir sa jupe. La chaleur était telle que son vêtement était presque sec, suffisamment, du moins, pour qu’elle puisse rendre sa veste à Nathaniel. Elle lui tendit en le remerciant à nouveau, avant de changer de sujet.

-Alors, dites moi, pourquoi êtes vous venu au Japon ?

Dans son cas, c’était assez particulier, mais lui… Il devait sans aucun doute être un humain des plus normaux et donc, avoir des motivations classiques, comme le travail ou la famille. Andy était curieuse.

La question que venait de poser la jeune écossaise sembla créer de la nervosité chez son interlocuteur. Il lui fallu plusieurs minutes avant de répondre, multipliant les marques de stress par des mouvements continus. Andy trouvait cela plutôt étrange, elle se demandait si il n‘avait pas quelque chose à cacher. Il expliqua finalement avoir eu des problèmes avec son anciens travail et que cela l’avait conduit à déménager, pour ne plus partir, finalement. La jeune fille se mit à penser qu’il y avait quelque chose de louche là dessus… Peut être n’avait il pas toujours été clair dans ses affaires, au point de s’être fait des ennemis.
Elle questionna avec curiosité.

-Ah oui ? Quel était ce travail ?

Elle ajouta ensuite :

-Et quel est il maintenant ?

Andy n’avait pas honte d’être curieuse, elle estimait que si la question était trop personnelle, il le dirait et voila tout.